«Kheïra Belkaid» l’héroïne hors du commun qui ramena 45 orphelins de Sétif à Oran

L’histoire de la défunte Moudjahida Kheïra Belkaid, qui avait sauvé, lors des Massacres du 8 mai 1945, quarante-cinq (45) orphelins, dont les parents avaient été tués ou déportés, dans la région de Sétif, reste à ce jour racontée aux jeunes générations, 79 ans après ces événements sanglants, pour préserver la mémoire autour d’un fait éminemment héroïque, mais pas suffisamment connu.

Au cœur du chaos né de l’effroyable carnage perpétré par les forces coloniales appuyés par l’aviation, les blindés et l’artillerie lourde, qui n’épargnaient ni hommes, ni enfants, ni femmes, ni vieillards, pilonnant sauvagement douars, villages et hameaux, une femme, Kheïra Belkaid, connue sous le nom de « Bent Bendaoud », réussit l’incroyable prouesse d’arracher 45 petits orphelins de la confusion pour les convoyer, par train, jusqu’à Oran.

Bravant la surveillance des policiers et des soldats français, placés sous les ordres du général Raymond Duval, qui avaient l’œil sur les moindres mouvements d’Algériens, et esquivant les dizaines de points de contrôle, cette dame-courage réussit à atteindre la gare de Sétif sans encombre et à embarquer les enfants.

Arrivée à Oran en compagnie de ses petits protégés, Kheïra, (qui avait dû « préparer le terrain », dira le président de la Fondation du 8-Mai 1945), le Moudjahid Abdelhamid Slakdji, prend attache avec des notables de la ville
d’Oran et ne tarde pas à trouver des familles d’accueil pour les orphelins, sauvés, grâce à elle, de la terrible répression de la soldatesque coloniale.

Le président de la Fondation du 8-Mai 1945, relate à l’APS l’histoire peu commune de cette militante, connue également pour sa lutte au sein du mouvement nationaliste et pour son dévouement aux démunis, aux veuves et
aux orphelins.

« Cette femme a réussi, grâce à son intelligence et à son courage, à conduire 45 orphelins des environs de Sétif, d’Ain El Kebira, de Beni Aziz et d’autres localités, jusqu’à Oran, après un crochet par Constantine, sur une distance de plus de 1.000 km », témoigne M. Salakdji.

Le Moudjahid Slakdji tient à rappeler, dans ce cadre, que les massacres perpétrés à Sétif, à Kherrata et à Guelma « se sont poursuivis, en réalité, jusqu’à septembre, de longs mois au cours desquels l’armée coloniale a donné libre cours à sa barbarie, pratiquant les formes les plus odieuses d’exactions contre des citoyens désarmés qui avaient +osé+ sortir dans les rues pour réclamer pacifiquement l’indépendance ».

Le même interlocuteur souligne que « des pères de familles ont été sauvagement tués, dans des dizaines de villes et villages, le plus souvent sous les yeux de leurs enfants et de leurs femmes ».

Revenant à Kheïra « Bent Bendaoud », M. Salakdji raconte que cette femme était arrivée dans la région de Sétif « après des contacts avec des militants de la région qui lui ont fourni des informations sur les endroits où se trouvaient des enfants dont les parents ont été tués ou déportés ».

Elle en rassembla 45, « dont le Moudjahid Amar Sbiaï, originaire de Beni-Aziz (au nord de Sétif), qu’elle parvint, grâce à une intelligence hors du commun qui lui permit de ne pas éveiller les soupçons, à accompagner jusqu’à la gare de chemins de Sétif, au centre-ville, et à embarquer en leur compagnie dans un train afin de se rendre à Oran, mais après avoir transité par Constantine, puis Alger », souligne-t-il.

« Grâce à l’Union des Oulémas musulmans algériens, à des militants du mouvement nationaliste résidant à Oran, et grâce aussi à des notables de la grande ville de l’Ouest du pays, elle fit adopter, au nez et à la barbe de l’administration coloniale, tous ses protégés dans des familles oranaises », ajoute M. Salakdji.

Il note que ces enfants ont été « bien élevés, n’ont manqué de rien et ont poursuivi leur scolarité ». Certains parmi eux « ont même occupé des fonctions supérieures, d’autres, la plupart, ont rejoint les maquis de la
Révolution », affirme-t-il.

L’administration coloniale, ayant eu vent de ses activités militantes, finit par arrêter Kheïra Belkaid en 1957 pour la placer en résidence surveillée dans la Casbah d’Alger. Quelques temps plus tard, après avoir été autorisée à rentrer chez elle, à Oran, elle contracta une maladie qui finit par l’emporter, en 1961.

Le Moudjahid Amar Sbiaï, l’ un des orphelins sauvés par Kheïra Belkaïd

Le Moudjahid Amar Sbiaï, originaire de la région de Beni-Aziz, au nord-est de Sétif, et qui vit actuellement dans la wilaya d’Oran, est l’un des orphelins sauvés par Kheïra Belkaïd.

Même s’il n’avait que 4 ans lors du fameux voyage en train, M. Sbiaï, qui affirme « garder encore en mémoire des scènes très claires » de ces événements, raconte que « (son) père, Saâdi, avait été arrêté par les forces françaises sous (ses) yeux et ceux de (sa mère), accusés d’avoir participé à la marche du 8 mai 1945 ».

Kheïra « Bent Bendaoud » était venue à Beni Aziz après l’arrestation de son père qui laissa sa femme seule et sans ressources. « Elle a proposé à ma mère de m’emmener pour prendre soin de moi, promettant de me ramener quand j’aurai grandi, ma mère a accepté et c’est comme ça que j’ai pris le train avec elle et d’autres enfants, dont les plus jeunes étaient des fillettes âgées de 12 à 14 ans d’une pauvreté extrême », se souvient Amar Sbiaï.

« La première étape de notre périple en train fut d’abord Constantine où Kheïra devait prendre contact avec l’Association des Oulémas dont les membres avaient préalablement pris attache avec des familles d’Oran. Nous
réembarquâmes ensuite dans un train en partance pour Alger d’où nous nous sommes élancés, après avoir encore changé de train, vers El Bahia où une famille me prit en charge et s’occupa de moi », relate cet acteur-témoin aujourd’hui âgé de 83 ans.

Amar Sbiaï se rappelle également qu’étant le plus jeune des 45 enfants, Kheïra était un peu plus attentionnée à son égard. « Je me souviens très bien, dit-il, que Kheïra, qui s’était établie à Oran, demandait régulièrement de mes nouvelles et me recevait souvent chez elle, me mettait sur ces genoux et montrait beaucoup d’affection pour moi ».

En 1956, avant même l’âge de 16 ans, Amar Sbiaï rejoint les rangs de l’ALN où il servit dans sa région natale de Beni Aziz, puis dans l’ouest algérien, jusqu’à l’indépendance. Kheïra Belkaid, également surnommée « la rouge » en raison de sa face rubiconde, recevait régulièrement des révolutionnaires qui se réunissaient chez elle, avant d’être arrêtée en 1957 et assignée à résidence dans la Casbah d’Alger.

En proie à une intense émotion, tentant vainement de dissimuler des larmes perlant dans les yeux, ce Moudjahid affirme que Kheïra Belkaid était « un symbole et un exemple de courage et d’héroïsme qui a su résister à toutes les pressions pour ne pas divulguer l’identité des enfants qu’elle avait emmenés juste après les Massacres du 8 mai 1945 et qui, grâce à elle, sont devenus des femmes et des hommes ».

Aujourd’hui encore, Amar Sbiaï pleure encore la mort de sa « mère Kheïra » et se rend régulièrement sur sa tombe, au cimetière d’Oran. Avant de prendre congé, il fait part de son « vif souhait » de voir les historiens se pencher davantage sur l’histoire de Kheïra « la rouge » dont la personnalité mérite, selon lui, d’être « mieux connue » pour la mémoire nationale, mais aussi pour les générations montantes en tant qu’exemple de générosité, d’altruisme et de bravoure.

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