ARCHITECTURE : UNE PROFESSION EN QUÊTE DE VALORISATION

Walid Zegrar, gérant de Dream Design et Construction: «Le conventionnel l’emporte toujours sur l’innovation»

Dans cet entretien, Walid Zegrar, architecte et gérant de l’entreprise dans le BTPH, Dream Design et Construction, a indiqué qu’en dépit d’une demande croissante exprimée par les Algériens pour tout ce qui est innovant et créatif, l’administration de même que les constructeurs et les promoteurs immobiliers privilégient les projets classiques sans grande recherche technique et esthétique pour des raisons de coûts. Il a affirmé, par ailleurs, que nos architectes sont tout à fait capables de relever le défi de l’innovation et de proposer des solutions intelligentes dans le domaine du bâti, pour peu qu’on le leur demande.

Entretien réalisé par Farida Belkhiri

D’une façon générale, est-ce que nos architectes font preuve d’innovation et suivent les nouvelles tendances mondiales ?

Il y en a, mais ils ne sont pas très nombreux. Peu d’architectes algériens se montrent innovants pour intégrer les nouvelles tendances mondiales dans leurs conceptions. Mais ceux qui le font ne lésinent pas sur les moyens, utilisant les nouvelles technologies dans leurs projets, des matériaux durables et des concepts créatifs pour proposer des designs qui, tout en répondant aux besoins contemporains, reflètent l’identité culturelle algérienne. Ils seraient plus nombreux si la demande du marché sur ce type de projets était plus importante.

Nos architectes sont tout à fait capables et assez outillés pour relever le défi de l’innovation. Il faut savoir, toutefois, que la demande du marché sur ce type de produits n’est pas très grande, même si le design innovant est favorisé par les Algériens. Il faut faire la différence entre les préférences des citoyens et les exigences du marché. Nous décelons chez les Algériens un penchant pour tout ce qui est innovant, mais le marché opte pour le classique pour des raisons financières.

Dans le cas de projets de construction ou de réaménagement des cités AADL par exemple, les contraintes budgétaires et les préoccupations en rapport avec la rentabilité économique limitent l’offre architecturale. La préférence, dans ce cas-là, est pour les solutions peu coûteuses. Aux conceptions ordinaires et basiques en somme et non aux designs innovants et esthétiquement attrayants. Cette approche axée sur le moindre coût l’emporte parfois sur la qualité architecturale et urbaine et on se retrouve devant des bâtis qui manquent d’originalité, sans recherche esthétique aucune.

Nous déplorons que la plupart des administrateurs algériens privilégient surtout les options standardisées pour, comme je l’ai déjà souligné, une question de coût. Ce qui réduit considérablement la marge de manœuvre des architectes, les incitant à brider leur sens de créativité et d’innovation et à ne proposer que des projets conventionnels. Il est très difficile pour les architectes, dans ce cas-là, de concilier les exigences classiques des administrateurs et leur vision créative. Nous sommes très nombreux à vouloir créer des espaces urbains de qualité, au design attractif comme le souhaitent les habitants. Mais nous sommes obligés de freiner ce désir en raison des exigences du marché. Ce qui nous frustre et nous empêche de nous épanouir complètement dans notre métier, dont la sève est la créativité.

Est-ce que la tendance actuelle dans notre pays se tourne vers le traditionnel ou vers le moderne ?

Nous ressentons chez les Algériens d’une façon générale un intérêt pour tout ce qui est contemporain. De ce côté-là, la tendance dominante se tourne résolument vers le moderne. Cette tendance vers le moderne est de plus en plus exigée par une jeunesse algérienne connectée et très bien informée de ce qui se passe ailleurs, à l’international, en matière d’architecture et de design.

Avec l’essor de la mondialisation, l’évolution des modes de vie, la quête de solutions contemporaines aux défis urbains se fait de plus en plus ressentir. Pour ce qui est de la demande pour les architectes, elle est de plus en plus importante, vu la croissance démographique, l’extension urbaine, le développement économique…Les architectes sont sollicités dans divers domaines tels que la conception résidentielle, commerciale, institutionnelle…

Les projets de construction, de rénovation et d’aménagement urbain se multiplient dans de nombreuses régions du pays. Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué, la préférence du marché est pour les conceptions qui peuvent être modernes, mais peu coûteuses. Sur le marché, le type d’architecture idéalisé est souvent celui qui combine des caractéristiques simples et modernes. L’idéal pour nos clients est d’avoir des designs épurés, fonctionnels et esthétiquement attrayants, mais pas trop chers. Ce qui représente un défi pour nos architectes appelés à concevoir des projets modernes, mais les moins coûteux possibles.

Qu’en est-il des promoteurs immobiliers ?

Les entreprises de construction d’une façon générale et les promoteurs immobiliers d’une façon particulière optent habituellement pour des projets architecturaux qui soient simples à exécuter et pour des designs conventionnels qui soient moins susceptibles de présenter des défis techniques ou logistiques. En plus des contraintes budgétaires, ce qui motive leur choix pour ce type de conceptions est le manque de compétences spécialisées au sein de leurs équipes pour exécuter des projets innovants et trop techniques et en raison des délais de réalisation limités la plupart du temps.

Pour être plus précis, la demande sur les projets innovants existe pour satisfaire les nouvelles tendances exprimées par les habitants, les commerçants, les entreprises…mais elle pose problème en termes de faisabilité et de coût. C’est plus simple donc pour les constructeurs et pour les promoteurs d’investir dans des projets dont la faisabilité est garantie même au détriment de la créativité et parfois même de la qualité.

Quels sont les problèmes les plus récurrents rencontrés par les architectes ?

Le problème le plus récurrent et qui représente un véritable casse-tête pour les architectes est le non-respect des schémas dans la mise en œuvre par les constructeurs. C’est le point le plus noir pour nos architectes, car le manque de finitions et l’exécution approximative des projets compromettent la qualité des projets et peuvent même apporter préjudice à l’image de marque des architectes.

Quand un projet est mal réalisé, il peut engendrer des complications techniques, apportant préjudice à l’esthétique et aux structures des bâtis, à leurs fonctionnalités. L’autre point noir auquel nos architectes sont confrontés est la malhonnêteté de certains entrepreneurs. Certains entrepreneurs peu scrupuleux modifient les spécifications du projet, utilisent des matériaux de qualité inférieure sans avertir l’architecte concerné. Pire, ils ne font pas grand cas des normes de construction convenues, compromettant ainsi l’intégrité des projets et mettant même en danger la sécurité des futurs occupants.

Par ailleurs, comme certains matériaux de construction de grande qualité ne sont pas disponibles au niveau local, les architectes sont parfois obligés de recourir à des produits de basse gamme, ne donnant pas aux projets la durabilité, la résistance et l’esthétique recherchées. Le plus important dans tout cela est le peu d’engouement exprimé par l’administration pour tout ce qui est innovant. Ce qui représente un sérieux handicap pour les architectes. La préférence pour les nouvelles tendances est palpable, mais le marché ne suit pas.

On parle beaucoup, ces derniers temps, de bâtis intelligents. Est-ce que nos architectes sont capables de proposer ce type de projets ?

Absolument. Il existe sur le marché des architectes qui se sont spécialisés dans les bâtiments intelligents après avoir reçu des formations pointues dans ce domaine, pour concevoir des bâtiments qui combinent technologies innovantes, efficacité énergétique, gestion des ressources, confort et sécurité des occupants. De ce fait, ces architectes sont tout à fait capables de proposer ce type de projets en Algérie.

F.B.

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