Rencontre avec Magdalena Platzova, écrivaine tchèque: « La littérature est d’abord une rencontre avec l’autre »

Magdalena Platzova est en Algérie dans le cadre de la quatorzième édition des rencontres euro-algériennes. Elle évoque, dans les lignes qui suivent, sa vision de la littérature et surtout les défis posés par l’utilisation de l’intelligence artificielle.
Entretien réalisé par Sarra Chaoui
Vous avez écrit de nombreux ouvrages qui semblent liés par la thématique de l’histoire. Pourquoi ce choix?
Auteure de 9 livres dont 5 romans, je garde la même façon d’écrire. Il s’agit de prendre un événement ou un fait marquant historique et de les faire coïncider avec une ligne temporelle plus contemporaine et récente. Je choisis un thème assez fort mais en y accédant à partir d’événements qui se passent actuellement dans le monde. Dans « The attempt » traduit en français sous le titre « l’anarchiste », j’évoque « occupy wall street » un mouvement anarchiste qui s’est déroulé aux Etats Unis ou je vivais en 2011. Les jeunes avaient occupé les espaces publics. Le récit se déroule au début du XXème siècle avec des héros contemporains en même temps. C’est pour moi un jeu de reflets entre le passé et le présent mais ce ne sont pas des œuvres historiques et linéaires.
C’est le même principe que j’adopte pour mes autres romans « la vie après Kafka » qui paraitra bientôt en France et en Italie notamment et « le saut d’Aaron ». Il faut que le sujet vous touche et vous frappe pour lui sacrifier autant de temps et d’efforts entre la recherche et l’écriture. Le destin de certaines personnes en particulier dans l’histoire me fascine. Après avoir écrit mon dernier roman, j’ai réalisé que j’étais inconsciemment attirée par le début du XXème siècle que je trouve passionnant et fascinant.
L’intelligence artificielle fait couler beaucoup d’encre et est aujourd’hui une sorte de menace contre l’inspiration et le travail humain. Qu’en pensez-vous ?
Tous ces nouveaux outils nous font revenir au cœur, aux fondements. Il faut se demander à nouveau qu’est ce que la littérature, que recherchons nous à travers elle et qu’attendons-nous d’elle? Est ce un jeu ? L’intelligence artificielle est une bonne chose, elle peut créer une infinitude de combinaisons, on peut trouver du plaisir dans l’observation de l’habilité de cette machine qui arrive à réaliser des connexions auxquelles nous n’aurions pas pu penser. Je trouve qu’il y a une richesse qu’on ne peut retrouver dans le cerveau humain. il y a tant de combinaisons et de possibilités dans la machine mais cela reste au niveau du jeu. Et encore, il faut se demander si la machine prend du plaisir à effectuer ces taches? La question n’est pas de se demander si celle-ci peut écrire. Nous voyons que c’est le cas mais plutôt qu’est ce que l’on recherche dans la littérature ? Le lecteur est essentiel car quand on lit un texte généré par de l’intelligence artificielle on sent bien qu’il n’y a rien derrière, que comme son nom l’indique c’est artificiel.
Qu’est ce alors la littérature ?
Quand on revient à ses fondamentaux il s’agit d’une rencontre avec l’autre. Le lecteur va à la découverte de l’histoire, du passé, de l’imaginaire de l’écrivain et peut se retrouver en lui. Les romans peuvent se ressembler, la trame narrative peut ne pas être très élaborée ou au contraire très complexe. Quand il y a une personne derrière il s’agit d’une rencontre et d’une découverte de soi à travers l’autre. L’écriture donne du sens au vécu et cette expérience doit être réservée aux humains. Il est difficile d’imaginer que nous en tant que lecteurs soyons satisfaits de l’écriture d’une machine, aussi intelligente soit elle. Un robot ne peut pas ressentir, aimer, avoir des enfants ou encore moins mourir, comment pourrions-nous nous s’y refléter ?
Cela peut rester un outil pour les personnes dont l’écriture est une activité professionnelle, comme le savoir faire d’un artisan. Elle ne peut en aucun cas remplacer ni aider l’artiste.
Pourquoi nous compliquer la vie avec plus de choix et de possibilités quand nous en avons déjà une multitude ? Il faut que nous puissions user entièrement de notre libre arbitre.
S.C.