Mourad Fathi, écrivain et expert égyptien spécialisé dans les affaires arabes à Horizons : «La résistance palestinienne bénéficie du plein soutien arabe»

Entretien réalisé par AssiaBoucetta
Plus de 10.000 Palestiniens ont été tués depuis le lancement de l’opération déluge d’Al-Aqsa. Ce qui représente «un habitant sur 200rien qu’à Ghaza», selon Francesca Albanese, rapporteur spécial de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés. L’agression sioniste contre Ghaza offre, ainsi, un moment rare d’unité politique au sein du monde arabe et potentiellement la possibilité d’isoler l’entité criminelle sur la scène internationale. Ce désastre a ouvert la voie à un gouffre géopolitique qui ne cesse de s’approfondir, alors que l’opinion publique arabe demeure intransigeante et acquise à la cause palestinienne, selon Mourad Fathi, expert égyptien spécialisé dans les affaires arabes. Il répond, dans cet entretien, aux différentes questions relatives à la situation politique et humanitaire dans les territoires occupés.
Est-ce qu’on peut affirmer aujourd’hui que le projet sioniste a échoué et que les crimes d’Israël ne seront pas passés sous silence?
Les pays et les médias arabes sont avec la justice et la vérité et continuent à soutenir le peuple palestinien. Pour nous, le projet sioniste échouera certainement parce qu’il est basé sur le mensonge et l’occupation, et les causes justes finissent toujours par triompher. Le peuple palestinien continue de résister et de mener de grandes luttes depuis 1948. Il a été exposé à de nombreuses périodes de faiblesse en raison des divisions internes et des conflits qui sévissent dans les pays arabes ces dernières années. Ce qui a conduit au déclin de la question palestinienne sur la scène arabe, notamment au cours de la dernière décennie. Mais on ne peut pas douter de l’échec du projet sioniste. Celui-ci échouera certainement parce qu’aucun droit n’est perdu si la revendication persiste, sachant qu’Israël ne s’en tirera pas à bon compte, conformément au droit international. Celui qui commet un crime doit être tenu pour responsable. Malheureusement, à la lumière du système international corrompu, nous constatons qu’il existe une large mobilisation et un soutien en faveur d’Israël pour son agression contre le peuple palestinien. La communauté internationale se concentre cependant sur la dimension humanitaire de la question palestinienne, alors qu’il s’agit essentiellement d’une question politique, morale et juridique. Il y a une occupation qui doit cesser, d’autant plus que ceux qui la soutiennent comme les États-Unis et autres pays occidentaux, à leur tête la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, ne qualifient aucunement ce que fait Israël de terrorisme contre un peuple sans défense. Celui-ci ne possède ni avions ni missiles, à l’exception de quelques éléments de la résistance armée. Autant de facteurs qui font qu’il y a nécessité de mettre un terme au projet sioniste, sachant que la vérité finit toujours par triompher.
Comment expliquez-vous la timide interaction de l’Autorité palestinienne face à cette agression ? Etpourquoi n’y a-t-il pas d’opérations majeures en Cisjordanie ?
La Cisjordanie est administrée par l’Autorité palestinienne et sous la direction de l’Organisation de libération de la Palestine et n’est pas représentée par le Hamas, qui contrôle uniquement Ghaza. La décision de mener l’opération déluge d’al-Aqsa a été prise par le seul Hamas. C’est pourquoi, nousn’assiste pas à des opérations majeures en Cisjordanie, administrée par l’Organisation de libération de la Palestine et le mouvement Fatah. Le Hamas a agit seul. Il n’y a, ainsi, aucune résistance coordonnée en raison de la division dans les rangs palestiniens, du manque de coordination, de vision et d’objectifs communs face à l’occupant. L’Organisation de libération de la Palestine et l’Autorité palestinienne ont une autre vision, à savoir la poursuite de l’action politique sur la scène internationale. Au regard de tous ces éléments, on comprend,dès lors, mieux pourquoi la Cisjordanie n’est pas le théâtre d’opérations majeures. Et puis, il faut savoir que l’Autorité palestinienne n’a pas d’armée et demeure très faible. Elle n’a qu’une police de sécurité pour protéger les civils qui souffrent toujours du harcèlement des colons israéliens et des pratiques brutales de l’occupant. L’Autorité palestinienne souffre des restrictions importantes imposées par l’occupant et le gouvernement d’extrême droite qui prend d’assaut chaque semaine la mosquée Al-Aqsa. La situation en Cisjordanie est ainsi différente à celle qui prévaut à Ghaza, contrôlée par le Hamas.
Face à la présence croissante de certaines forces dans la région du Moyen-Orient. Pensez-vous qu’il y a des parties qui tentent d’exploiter et de profiter de ce conflit ?
Certes, il existe des puissances majeures qui veulent profiter de cette situation. La Russie essaie de l’exploiter à son avantage pour détourner l’attention de la crise russo-ukrainienne. Par conséquent, le conflit au Moyen-Orient demeure dans l’intérêt de Moscou qui subit depuis le début de cette agression moins de pressions. C’est également dans l’intérêt de la Chine, qui souffre également de la question taïwanaise et des ingérences américaines. Lorsque le conflit fait rage dans la région du Moyen-Orient, cela réduit la pression sur les deux puissances qui veulent instaurer la multipolarité dans le monde et à briser l’unipolarité que Washington veut maintenir. Cette agression dont souffrent le peuple palestinien et le Hamas conduit inévitablement à l’émergence d’autres éléments et puissances majeures, comme la Russie et la Chine qui activent pour alléger les pressions exercées sur elles dans leurs zones de conflit. Elles tireront profit, tant sur le plan médiatique que sur le plan régional. Les porte-avions qui sont stationnés au Moyen-Orient ne se trouvent pas seulement dans cette région en raison du conflit à Ghaza.
L’Égypte a préparé cinq hôpitaux dans le nord du Sinaï pour accueillir les blessés palestiniens. Etant un acteur clé dans la région, son implication semble, toutefois, très limitée. Pourquoi ? Et jusqu’à quel point l’Egyptedoit-elle s’engager à faire respecter les accords de Camp David ?
L’Égypte, en particulier la région d’El-Arich, qui possède l’aéroport civil le plus proche de la frontière avec Ghaza, reçoit quotidiennement des avions de tous les pays arabes transportant del’aide humanitaire destinées au peuple palestinien. Il y a aussi la rive méditerranéenne, où le port d’El-Arich accueille régulièrement des navires chargés d’aide humanitaire à destination de Ghaza. L’équipement de cinq hôpitaux n’est, ainsi, qu’un début, sachant que la ville d’El-Arich, qui est la capitale du gouvernorat du Sinaï Nord, dispose de plusieurs hôpitaux pouvant accueillir les blessés. Il y a, également, sur place le Croissant- Rouge égyptien qui coordonne l’acheminement de cette aide à l’intérieur des territoires occupés. Il est possible d’augmenter le nombre d’hôpitaux en fonction des besoins et lorsque davantage de Palestiniens blessés seront autorisés à franchir la frontière, d’autant plus que des équipes médicales sont disponibles. Il est, aujourd’hui, important que le poste frontière de Rafah soit ouvert pour acheminer cette aide en grande quantité. Israël continue, toutefois, de tergiverser, car jusqu’à présent, il n’autorise l’entrée que d’un petit nombre de camions. Au cours de la première semaine de la guerre, aucune aide humanitaire n’a été autorisée à rentrer dans les territoires occupés. Nous assistons donc à une grande intransigeance de la part de la partie israélienne sur le terrain. Mais il y a actuellement des pressions pour faire fléchir cette position et acheminer au plus vite cette aide. On parle même d’une trêve humanitaire, voire de couloirs humanitaires. D’un autre côté, il faut souligner que les relations égypto-israéliennes restent tendues en raison de cette guerre. Cela apparaît clairement dans les communications entre les deux parties. Les médias locaux qui suivent de près les déclarations des autorités d’occupation israéliennes condamnent cette agression tout en soulignant les efforts entrepris par l’Egypte tout au long de cette période difficile. L’Égypte a, d’ailleurs, accueilli il y a à peine une semaine, un sommet international sur la paix qui a vu la participation de la majorité des pays afin d’œuvrer à mettre fin à cette agression. Mais aucun accord n’a été trouvé en raison de l’intransigeance des pays occidentaux et des États-Unis qui voulaient obtenir une condamnation claire du Hamas. Les pays arabes, pour leur part, se sont focalisés sur la nécessité de condamner les meurtres de civils et de ne pas condamner uniquement le Hamas dans la mesure où Israël est la puissance occupante. La conférence était une expression claire de la position arabe face à l’agression israélienne contre Ghaza, tout en insistant sur la nécessité d’y mettre un terme immédiatement et de fournir une aide au peuple palestinien. Mais aussi de mettre fin à l’occupation, de relancer la cause palestinienne et d’établir un État palestinien afin de parvenir à la sécurité et à la stabilité. C’est un facteur fondamental pour la sécurité d’Israël.
Peut-on espérer voir l’agression contre Ghaza déclencher une réelle prise de conscience arabe quant à la question palestinienne ?
Il existe une grande conscience arabe de la nécessité de soutenir la question palestinienne. D’ailleurs, les pays arabes qui entretenaient des relations avec Israël, notammentla Jordanie et le Bahreïn, ont rappelé leurs ambassadeurs après cette agression. Les peuples arabes sont suffisamment conscients de cette question, comme en témoignent les manifestations, les campagnes de don de sang et le traitement de cette agression par les médias. En outre, il y a un alignement affirmé, comme l’indiquent les contacts diplomatiques officiels au plus haut niveau. Il est question, d’ailleurs, d’un sommet arabe à Riyad le 11 novembre prochain. Il sera consacré à la manière de mettre un terme à l’agression israélienne et à la solidarité avec le peuple palestinien, ainsi qu’à la manière d’envoyer de l’aide à travers l’Egypte et la Jordanie. Il faut savoir que l’Égypte reçoit de l’aide chaque jour et travaille 24 heures sur 24 pour la livrer au peuple palestinien dans les territoires occupés via l’aéroport civil du Sinaï, qui est le point le plus proche de passage terrestre de Rafah et le seul à relier l’Égypte à la bande de Ghaza.
Y a-t-il un risque de voir cette guerre dégénérer en conflit régional plus large ?
La possibilité de voir ce conflit s’étendre à d’autres zones est réelle, mais les pays arabes tiennent à ce que ce conflit ne touche toute la région. C’est le cas aussi des grandes puissances, à l’image des États-Unis qui ont envoyé en moins de 48 heures après le début de l’agression son plus grand porte-avions en Méditerranée orientale et dans la région du golfe Persique. Ce qui est considéré comme un message de soutien pour Israël et de dissuasion contre une éventuelle ingérence d’autres éléments dans le conflit afin de s’assurer qu’Israël, son allié, poursuive sa«riposte» à grande échelle contre le peuple palestinien et parler plus tard d’une trêve humanitaire plutôt que d’un cessez- le feu.
Selon certains observateurs, l’entité sioniste a actuellement trois objectifs : récupérer les otages, chasser le Hamas de Ghaza et anéantir toutes les tentatives de lutte dans la région. Peut-elle atteindre ses objectifs ?
Ces objectifs ne sont pas réalisables, puisque les pays arabes et la résistance palestinienne ne veulent pas voir cette occupation perdurer plus longtemps. L’occupation israélienne est responsable de ce qui s’est passé le 7 octobre dernier dont le but est le recouvrementpar les Palestiniens de leurs droits. Israël parle d’actions terroristes, mais pour nous, le monde arabe, c’est une résistance. Il aurait peut-être fallu une plus étroite coordination entre le Hamas et le reste des factions palestiniennes, en particulier l’Organisation de libération de la Palestine qui, au sein de la communauté internationale, représente le peuple palestinien. Il n’en demeure pas moins que cette résistance bénéficie du plein soutien égyptien et arabe dans sa lutte contre l’occupant israélien. Ce que le peuple palestinien vit actuellement est dû à l’occupation. Il en est de même pour ce qui s’est passé le 7 octobre dernier qui n’est que le résultat naturel de plus de 72 ans d’occupation des territoires palestiniens par Israël.
A.B