Kahina Mellab, chercheuse au Cread : «La diversification économique est un canal important pour la croissance»

Elle est chercheuse au Cread. De par son expertise dans le domaine économique et les réformes structurelles, Kahina Mellab explique, dans cet entretien, les enjeux de la diversification économique, son impact sur l’emploi et le rôle des institutions financières.

Entretien réalisé par Wassila Ould Hamouda

La diversification étant un défi pour notre économie, quels sont les enjeux et comment parvenir à se libérer de notre dépendance aux hydrocarbures ? Tout d’abord, il me semble important de rappeler que la transformation structurelle signifie la réallocation de l’activité économique des secteurs à faible productivité vers ceux où elle est plus forte, permettant ainsi de maintenir une croissance forte, durable et inclusive. Ce processus est généralement caractérisé par au moins deux faits stylisés, à savoir l’augmentation de la part du secteur manufacturier et des services à forte valeur ajoutée dans le PIB, couplée avec une baisse soutenue de la part de l’agriculture, et la baisse de la part de l’emploi agricole et le transfert des travailleurs vers les autres secteurs plus productifs de l’économie. La diversification économique est un canal important pour la croissance économique d’un pays. De ce fait, la diversification des exportations peut se réaliser par le biais de produits ou de partenaires commerciaux par produit, tout en introduisant de nouvelles lignes de produits, c’est-à-dire la marge extensive, ou par le biais d’exportation d’un mélange plus équilibré de produits existants, à savoir la marge intensive. Pour ce qui est des enjeux, il est question, entre autres, de se protéger contre les chocs exogènes dus à la spécialisation primaire et accroître durablement la production globale d’une économie. La diversification des exportations est certainement un challenge pour tous les pays, mais particulièrement un grand défi pour les économies fortement dépendantes des ressources naturelles comme la nôtre. Nous partons d’une structure productive très rigide basée principalement sur la rente issue du secteur des hydrocarbures. Après presque vingt ans de transition vers l’économie de marché, l’économie algérienne affiche encore les mêmes caractéristiques : désindustrialisée avec une part du secteur industriel de moins de 5% du PIB, une croissance relativement faible, une croissance modeste du PIB/habitant, très irrégulière ou tout simplement volatile et très dépendante des hydrocarbures, une croissance très faible en comparaison internationale et une croissance très insuffisante par rapport aux investissements et sur les soixante dernières années, une croissance très élevée par rapport à la période coloniale. A cela s’ajoutent une maigre intégration régionale et internationale faute d’une stratégie d’ouverture internationale, des grandeurs macroéconomiques dépendant des facteurs exogènes et un tissu économique composé essentiellement de petits services et de commerce. Pour l’ensemble de la période 1961-2022, l’Algérie a enregistré une moyenne de croissance annuelle du PIB de 4 qui est relativement faible, si on la compare à celles des pays voisins et à celle de la Corée du Sud, de 7,37 sur la même période, à titre d’illustration. La stratégie de diversification des exportations constitue un pilier majeur de la politique du développement économique, alors que l’économie politique fait référence aux exportations, spécifiquement aux stratégies des autorités publiques visant à réduire la dépendance envers un nombre limité de produits à l’exportation qui peuvent être soumis à de fortes fluctuations des prix et des volumes. Sur le plan national, la diversification serait donc le fait, pour un pays, d’élargir le panier des produits exportés de manière à atténuer les risques encourus lors des échanges extérieurs. Avec la diversification du panier des exportations, l’Algérie diminuera sa vulnérabilité extérieure. L’économie algérienne demeure assurément plus exposée aux variations des marchés mondiaux, une situation si préoccupante pour sa transformation future. La diversification prend donc la capacité à devenir compétitive dans une plus grande gamme de produits. Encore, la diversification est un processus de déplacement à une structure de production plus variée, avec une création de nouvelles lignes de production, voire de nouveaux produits, où le développement de produits déjà présents dans le panier de production plus précisément est un passage des produits de bas de gamme aux produits haut de gamme.C’est le cas de l’Algérie dont la croissance économique se caractérise par sa faiblesse et son excessive vulnérabilité aux chocs pétroliers. La vulnérabilité de l’Algérie est liée en conséquence à sa gamme de produits peu diversifiée. L’expansion de certains secteurs ne parvient pas à masquer les difficultés de l’industrie hors hydrocarbures. La faiblesse du secteur privé, pénalisé par un climat des affaires peu propice à l’investissement et à la diversification, reste le problème majeur.

Quel est l’impact sur l’emploi ?

Qui dit diversification économique dit développement de l’industrie manufacturière. Ce secteur représente une voie plausible pour la transformation structurelle et offre la possibilité non seulement de redéployer l’économie vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée, mais aussi de constituer une base relativement large d’emplois à forte productivité de main-d’œuvre. L’industrie manufacturière entretient des connexions plus fortes avec le reste de l’économie. Cela traduit que les articles manufacturés peuvent être destinés à la consommation finale comme ils peuvent être largement utilisés dans les autres secteurs, produisant ainsi des complémentarités ou des connexions entre divers secteurs. En Algérie, la part de l’industrie dans l’emploi total est passée de 15,5% en 1990 à 13,5% en 2018. Dans les faits, ce chiffre englobe celui des hydrocarbures dont le poids dans l’emploi est assez faible, soit 2% et a même baissé à 1% en 2018. Les emplois perdus par l’industrie manufacturière, surtout publique, au milieu des années 1990 à la suite du programme d’ajustement structurel ont été récupérés, en partie, dans l’administration et l’agriculture. Une caisse d’allocation chômage a d’ailleurs été mise en place en 1994 pour amortir le choc.

La diversification de l’économie va-t-elle contribuer à l’amélioration des indices liés à la croissance macroéconomique ?

La plupart des pays en développement, notamment ceux des BRICS, ont spectaculairement fait des progrès vers la stabilité macroéconomique et élaboré des initiatives industrielles afin de remédier sur le long terme à leurs problèmes structurels. Les faibles résultats de l’Algérie en matière de participation dans la matrice entrées-sorties mondiales résultent en grande partie de l’échec des changements structurels des années 1970-1980, aux facteurs internes mais aussi à une forte exposition aux chocs exogènes dus à la concentration accrue dans les biens de base. Notre économie n’a pas tiré parti de ces opportunités offertes durant la période allant du début du XXIe siècle jusqu’à très récemment pour investir dans de nouvelles activités à forte valeur ajoutée, accroître la marge extensive et diversifier ses exportations. Rappelons que cette période a été marquée par une forte amélioration des termes de l’échange des produits primaires.

Faut-il engager des réformes structurelles, notamment bancaires ?

Les réformes structurelles jouent un important rôle dans la facilitation des échanges et les incitations à l’export. Les résultats des travaux empiriques existants soutiennent l’idée que le développement financier a un effet positif sur la croissance économique et la diversification économique dans les pays africains. La question à poser est : est-ce que le système financier peut accompagner le secteur privé et la diversification du PIB. Le crédit au secteur privé algérien marque une légère hausse depuis 2009 après une longue stagnation durant les années 1990 où l’Algérie a effectué plusieurs réformes. Selon les statistiques de la Banque mondiale, l’octroi de crédit intérieur pour le secteur privé demeure relativement très faible. En 2022, ce dernier a atteint 21,4% du PIB en Algérie. Dans la même année, la fourniture de ce type de crédit a été estimée à 81,7% et 54,5% enTunisie et en Turquie respectivement. Ainsi, l’épargne nationale n’est pas exploitée par les banques et les PME manquent de fonds. Le système bancaire algérien est faible avant de s’attaquer au financement des entreprises exportatrices (production) et à l’acte d’exportation (crédit). Jusque-là, aucun financement visible lié à l’émergence de l’industrie transformatrice. A cela s’ajoute le fait que les décideurs publics n’ont pas accordé un financement spécial aux secteurs exportateurs. Il n’y a pas de différence entre les secteurs exportateurs et non exportateurs. En Algérie, le secteur financier reste relativement peu profond comme en témoigne le dispositif actuel de financement de l’économie algérienne qui est composé dans sa majorité de banques commerciales. Or la politique de celles-ci se dirige la plupart du temps vers le financement des entreprises privées et les entreprises publiques et donc sur les opérations d’investissement à long terme. La structure des prêts bancaires algérienne, qui est peu porteuse de développement économique et n’est pas concertée avec les fins de la politique industrielle ni avec l’intérêt des investisseurs privés, se caractérise essentiellement par des emprunts massifs des sociétés publiques et d’autres prêts sont alloués au secteur privé. Les exportateurs rencontrent donc plusieurs contraintes financières sur le plan national et international. C’est pourquoi le Fonds spécial pour la promotion des exportations a été institué par la loi de finances pour 1996. Il vise à apporter un soutien financier aux exportateurs dans leurs actions de promotion et de placement de leurs produits sur les marchés extérieurs. En 2020, les décideurs publics ont envisagé d’ouvrir deux banques, une au Mali et une autre au Niger pour encourager les exportateurs. En 2021, le président du Conseil national économique, social et environnemental a donné son accord pour la mise en œuvre d’une banque d’import-export à même de résoudre beaucoup de problèmes rencontrés par les opérateurs économiques et les exportateurs algériens. Pour mettre en place un solide système de financement du secteur privé et de diversification économique, l’Algérie doit tirer des leçons des expériences des pays industrialisés et tardivement industrialisés. Ces pays ont réussi à créer des banques de développement pour remédier aux imperfections du marché des capitaux durant les périodes de crise pour soutenir et accompagner la politique industrielle, à l’instar de la République fédérale d’Allemagne, la Malaisie, la Thaïlande, la Turquie, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud. La République fédérale d’Allemagne de l’époque a créé une banque de crédit pour la construction, Kredi tanstaltfür Wiederaufbau, KfW, laquelle intervient pendant les crises anticycliques à caractère entrepreneurial en facilitant l’accès aux prêts pour les projets novateurs. Le Japon a créé des banques de développement publiques pour soutenir une politique industrielle orientée vers les industries à forte intensité de capital, comme la construction navale, l’électronique et l’automobile, et pour renforcer les infrastructures résilientes. La banque coréenne a pour mission d’appuyer la politique industrielle du gouvernement. Par contre, l’Inde détient un grand nombre d’institutions de développement spécialisées aux mandats limités à certaines industries, telles que les transports maritimes et l’électricité. La diversification réussie n’est pas un événement mais plutôt un processus dynamique par lequel les anciens secteurs leaders passent le relais à de nouvelles industries pour faire face aux défis qui se posent dans les environnements concurrentiels locaux et internationaux.

W. O. H.

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