Chicha : Un mal parfumé

Ambiance feutrée, musique tendance et déco, tantôt orientale, tantôt moderne. Les salons à chicha sont érigés en mode chez les jeunes. Encore méconnu il y a moins d’une décennie, ce phénomène participe activement à l’augmentation drastique du nombre de fumeurs et se démocratise à toute vapeur.

La tendance à Sidi Yahia (Alger), c’est la chicha. Si un paquet de cigarettes coûte en moyenne 200 DA, une séance de consommation de chicha vaut entre 3.000 et 6.000 DA. Et, très peu de jeunes se soucient des effets sur leur santé. «On ignore où ça mène, mais on s’amuse bien. C’est le buzz en ce moment partout dans le monde et je ne voudrais pas passer à côté de la tendance», nous lance Ahmed, jeune habitué de «Chicha Café», à Sidi Yahia. Pour ses amis avec qui il partage les bouffées, c’est un moment de retrouvailles entre potes, de discuter autour d’un jus et de fumer de la chicha. Les jeunes se disent ne pas être tombés dans l’addiction. Pourtant, depuis qu’ils ont goûté à leur première chicha, il y a plus de trois ans, ils en consomment presque tous les soir. «Ce n’est pas comme la cigarette ou la drogue. Tu peux ne pas fumer pendant une journée, voire une semaine entière», raconte Ahmed. Néanmoins, les jeunes semblent oublier que la chicha contient également de la nicotine, du goudron, des métaux et autres substances nocives qui peuvent engendrer des cancers.
Amina et Nadine, cousines, sont toutes deux commerciales. Elles se retrouvent après le boulot pour «chiller» (se détendre) et papoter dans un salon à chicha. «C’est tranquille, bien fréquenté, soigné et pas loin des magasins pour aller faire du shopping», décrit Nadine, qui déchire un sachet contenant un embout en plastique. Alors que l’eau du vase se met à bouillonner, un nuage melliflu monte au-dessus de son visage, pour rejoindre le cumulus moutonnant du jeune d’à côté, enfoncé dans un canapé en simili cuir noir, capitonné de boutons façon diamant.
Ce serait, d’ailleurs, ce que viennent chercher ces jeunes. Des endroits cosy qu’ils peuvent vanter sur les réseaux sociaux. Une ambiance douillette et des goûts à fumer de toutes sortes. En effet, en plus des menus gastronomiques proposés, des saveurs variées de chicha occupent une page entière, affichés en prix ascendants. Au-delà des traditionnels Love 66, Hawaï et Mi Amore, ou des incontournables double pomme mentholé et pêche, les menus sont sans cesse remis au goût du jour et se réinventent pour que les jeunes ne s’en lassent pas. Autour de Sidi Yahia, les tarifs grimpent. Aux 2.000 DA, il faut ajouter 1.000 DA, voire le double pour une chicha royale avec vasque lumineuse clignotante et glaçons. Les saveurs les plus exotiques sont proposées à plus de 5.000 DA, accompagnées de trois charbons. Bien que ces prix semblent exorbitants, l’addition est, dans la plupart des cas, partagée entre les jeunes fumeurs. «On ne fume pas beaucoup. Et le plus souvent, on se partage une chicha. À quatre, nous déboursons chacun près de 1.000 DA, ce qui est quand même abordable», souligne Ahmed.
Telle une traînée de poudre, cette tendance ne cesse de gagner du terrain. Plusieurs cafés à chicha ouvrent dans les lieux les plus fréquentés pour séduire toujours plus de jeunes.
Walid Souahi