Construction navale à Boumerdès : La Corenav hausse le…thon
Dans une partie de son port, la petite localité de Zemmouri El Bahri, à quelques kilomètres à l’est de la wilaya de Boumerdès, on y trouve le chantier naval de la Sarl Corenav.
A l’entrée principale du port, en allant à gauche, des navires en construction ou en pleine réparation, de toutes tailles, sont vite repérés. En cette matinée d’une journée printanière, le vent souffle très fort et les ouvriers ne se plaignent pas. Répartis en petits groupes de 3 à 4 travailleurs, ils s’attellent chacun à une tâche. Se proposant pour nous faire le tour du propriétaire, Ali Chaouch, debout entre des navires mis à sec, posés sur des plateformes, exprime sa fierté et sa satisfaction quant à l’avancée des chantiers en cours. «Cette entreprise est le fruit d’un long travail. Je suis dans ce domaine depuis la fin des années 1970. Nous avons commencé par des petites barques de 4 mètres et la réparation des embarcations», se rappelle notre hôte, qui a assisté aux différentes phases de la construction navale et le développement de son activité.
Dans un coin du port, une machine bleue est implantée et manœuvrée parun conducteur d’engin, recruté pour cette mission. Tout autour, des ouvriers s’affairent à sortir un bateau de pêche de l’eau. «Le portique d’une capacité de levage de 150 tonnes est un investissement capital pour le développement de l’entreprise. Grâce à cette grosse machine, des embarcations de grand gabarit peuvent être mises à sec pour leur réparation et maintenance. Auparavant, les armateurs étaient obligés de recourir à d’autres prestataires, à l’ouest ou à l’est du pays», se félicite notre interlocuteur, qui ne manque pas de saluer ses ouvriers et de les mettre en garde contre un éventuel incident. A quelques pas, deux ouvriers, accroupis, étalent de la résine à l’aide de spatules sur la coque d’une embarcation. «Le bateau est un peu abîmé dans certaines parties. Nous mettons une première couche pour colmater les fissures et les petits trous. C’est un travail minutieux qui exige de la concentration pour ne pas passer à côté d’une brèche», explique l’un des jeunes, qui passe de l’autre côté du bateau. «Les bateaux font peau neuve deux fois par an pour les maintenir longtemps en activité et bien sûr pour la sécurité des équipages. Avec le temps, les agressions de l’eau engendrent des rouillures, des usures d’où l’impératif de la maintenance», fait savoir le patron de Corenav.
Participation à la campagne de pêche au thon
Dans un espace du chantier, deux thoniers sont en construction. Invités à y faire une visite, El hadj, comme l’appellent ses ouvriers, explique les étapes de la fabrication, les matières premières utilisées et le savoir-faire de son staff, avec beaucoup de précision. Au-delà de ses 75 ans, Chaouch en parle avec passion. «De par mon expérience, j’ai appris deux choses, le travail et l’amour de son métier sont les voies de la réussite. Etre parmi les ouvriers et les encourager sont essentiels pour le bon fonctionnement de l’entreprise», lance-t-il, en levant les yeux vers l’ossature de l’un du thonier dont les travaux sont bien avancés. «Quand nous avons commencé, la construction se faisait d’une manière artisanale et la matière première était le bois. Mais à partir des années 2000, nous avons introduit des processus de production modernes. La fibre de verre et la résine renforcée ont remplacé le bois. Avant l’entame du chantier, nous avons un plan effectué par un architecte naval qui est soumis par la suite au ministère des Transports pour sa validation. Nous avons commencé par des bateaux de 12 puis 14 et 18 m», relève-t-il. D’ailleurs, un catamaran, un navire de pêche destiné à l’aquaculture, et un chalutier de 18,5 m sont sortis des ateliers de l’entreprise. Il y a sept ans, un chalutier de 18,5 mètres fabriqué à base de fibre de verre et de résine renforcée est sorti de nos ateliers.
Devant les ateliers dédiés aux thoniers, Hamza, la trentaine, travaille depuis 10 ans à Corenav. Il y a fait son stage et a été recruté par la suite. «Je suis très heureux d’exercer le métier que j’aime. Au fur et à mesure, je perfectionne mes compétences grâce aux anciens qui nous orientent et nous conseillent. Au fait, c’est une formation continue. Pour nous, la construction de thoniers est une belle expérience et nous partageons les ambitions de notre entreprise. Nous sommes prêts à notre tour à transmettre notre savoir-faire aux futurs stagiaires», confie notre interlocuteur.
Les thoniers de Corenav n’ont rien à envier à ceux fabriqués en Europe ou ailleurs. Nos navires ont déjà participé aux campagnes de pêche au thon en haute mer. «Nos thoniers sont moins chers que ceux qu’importent les armateurs. Les professionnels attestent de la bonne qualité et du respect des standards internationaux de construction», conclut-il.
Les dirigeants de Corenav ont des ambitions pour poursuivre leur activité en introduisant d’autres produits de haute gamme. Il suffit juste de lever les contraintes qui freinent son développement.
Karima Dehiles
Six chantiers dans la wilaya
La wilaya de Boumerdès compte 6 chantiers navals à Zemmouri, Dellys, Cap Djinet et Khemis El-Khechna. «Certainsde ces chantiers construisent des petites embarcations pour les personnes qui s’intéressent aux métiers de la mer et lancent leur activité dans le cadre des dispositifs d’aide aux jeunes. Parmi ces chantiers, la Sarl Corenav est la plus importante et a bénéficié de l’aide de l’Etat. Sa capacité à construire des navires de tous types, particulièrement des thoniers de 35 mètres de long, est une première en Algérie», a affirmé le directeur de la pêche et des produits halieutiques de la wilaya de Boumerdès.
Interrogé sur l’avantage de construire ces grands navires localement, le responsable a mis en exergue la réduction des importations et la valorisation du savoir-faire local. «L’entreprise a montré ses capacités et ses compétences en livrant l’année passée deux thoniers et un autre le sera dans les prochains mois. Une première en Algérie dans ce secteur. Corenav a été soutenue par les autorités compétentes au vu des progrès qu’elle a réalisés en termes de construction navale. Elle a bénéficié à ce titre de l’aide de l’Etat qui lui a octroyé un crédit et une extension de sa superficie», fait savoir Kadri.
Le renforcement de la flotte de pêche par les thoniers produits par Corenav vise à exploiter au maximum nos ressources halieutiques. «Ces bateaux permettent de pêcher dans la deuxième zone et accéder ainsi à la haute mer. Il est question actuellement de pêche artisanale mais avec ces nouvelles acquisitions, une modernisation des méthodes sera introduite», relève-t-il.
Concernant la maintenance et les services de réparation, Corenav a formé une main-d’œuvre locale issue des centres de formation. «Avec l’essor de ce secteur, des jeunes qui voudront s’engager dans les métiers de la mer pourront acquérir des embarcations localement et se lancer dans la pêche.
S’agissant du secteur dans la wilaya, il existe trois structures portuaires sur 80 km de littoral. «Nous comptons une population maritime de 5.000 inscrits, toutes catégories confondues. La flotte compte 600 unités entre petites embarcations, chalutiers, sardiniers et dernièrement les thoniers pour une production de 6.000 à 8.000 tonnes annuellement. Ajoutés à cela, les produits aquacoles», indique Kadri.
K. D.
Boualem Haddouche, directeur de Corenav : «La construction de thoniers est l’aboutissement d’une longue expérience »
La construction navale a le vent en poupe. Le port de Zemmouri El Bahri, dans la wilaya de Boumerdès, abrite le chantier naval de la Sarl Corenav, leader national dans le domaine. Après des décennies d’expérience et de savoir-faire, l’entreprise s’est lancée, depuis fin 2018, dans la construction de thoniers de 35 mètres de long. Son directeur, BoualemHaddouche, revient, dans cet entretien, sur les étapes qu’a traversées Corenav et les contraintes auxquelles elle est confrontée.
Sur votre chantier, deux grands thoniers sont en cours de construction. Pouvez-vous nous donner un aperçu sur la percée de votre entreprise ?
Notre activité se scinde en deux volets. Le premier consiste en la réparation et l’entretien des bateaux de pêche, de tous types, ne dépassant pas les 150 tonnes. S’agissant de notre autre activité, elle concerne la construction navale. Et dans ce volet, Corenav est connue depuis des années. Notre premier chalutier a été fabriqué en 1980 et le deuxième en 1982.
Comment êtes-vous arrivé à la construction de thoniers de 35 mètres de long ?
Après notre longue expérience dans la fabrication de petites barques, de chalutiers et de sardiniers, nous avons relevé le défi de passer aux embarcations qui sont importés, notamment les thoniers surtout que notre pays a son quota de pêche de thon rouge en Méditerranée. En 2018, le ministère de tutelle a octroyé des autorisations pour l’acquisition de thoniers pour la pêche au thon rouge en haute mer. Dans ce sens, nous avons exprimé notre demande d’acquisition en notant que c’est notre entreprise qui le construira. Pour un petit chantier comme le nôtre, ce fut un challenge mais que nous avons gagné grâce à notre travail constant et nos compétences. En somme, la construction de thoniers est l’aboutissement d’une longue expérience.
Comment est formée la main-d’œuvre ? Quel est le taux d’intégration dans votre entreprise ?
Notre entreprise emploie actuellement entre ingénieurs et ouvriers 80 personnes. La majorité des ouvriers est issue des centres de formation professionnelle notamment celui de Zemmouri, qui est à quelques mètres d’ici. Ce dernier est spécialisé dans la formation aux métiers de la pêche. Les jeunes stagiaires suivent en parallèle un stage pratique dans nos ateliers où ils sont initiés à la construction et la réparation navales. Par la suite, l’entreprise embauche des apprentis qui répondent aux critères définis. La moyenne d’âge est de 35 ans et nous pouvons être tranquilles parce que la relève est bel et bien assurée. Pour le taux d’intégration, il est actuellement de 65%.Notre fournisseur principal de résine renforcée est installé à la zone industrielle d’Aomar, dans la wilaya de Bouira. Pour les produits importés qui entrent dans la construction, il s’agit de la motorisation et les appareils électriques comme les radars. A ce titre, Moteurs Baudoin nous équipe et notre entreprise est son représentant exclusif en Algérie.
Etes-vous confiant pour l’avenir ?
Aujourd’hui, les pouvoirs publics ont pris les choses en main et encouragent les opérateurs nationaux. Nous constatons une volonté politique pour booster ce domaine. Le président de la République a, lors d’un précédent Conseil des ministres, insisté sur l’impératif de solutionner les problèmes auxquels nous faisons face. Cela est un message fort du président Tebboune pour redoubler d’efforts. Après ses instructions, nous avons bénéficié d’une extension de 2.400 m2, une bouffée d’oxygène pour l’entreprise.
Vous étiez en visite en Mauritanie. Qu’en est-il de votre coopération avec ce pays voisin ?
Nous avions été reçus par notre ambassadeur en Mauritanie et avions négocier avec les responsables du domaine de la pêche. Ces derniers ont passé une commande de 30 chalutiers. Nous avons temporisé du moment que nous avons des engagements avec des clients locaux. D’où l’urgence de développer notre entreprise en termes d’espace et de main-d’œuvre.