Djemaï Noui, professeur de sociologie à l’Université de Sétif : «Il faut ouvrir un véritable débat public»

Professeur de sociologie à l’Université de Sétif, Noui Djemaï désigne le manque de loisirs, la faiblesse du pouvoir d’achat et le chômage à l’origine de la délinquance, appelant à un «large débat» pour sa prise en charge.

 

Nous assistons à une recrudescence de la délinquance dans notre pays. Quelles en sont les raisons ?
La jeunesse n’est pas prise en charge réellement et se retrouve livrée à elle-même. Cette frange de la société ne bénéficie pas de suffisamment d’attention, notamment dans le foyer familial et à l’école. Conséquence : elle tombe dans le désarroi, le désespoir, et donc dans la délinquance. Je dois préciser à ce propos que l’une des causes majeures qui favorise ce phénomène est le rapport des élèves à l’école. Il faut savoir que les enfants, actuellement dans leur scolarité, sont ballottés entre l’école publique et les cours particuliers. Les élèves se retrouvent à faire des cours particuliers dans des conditions inacceptables et insalubres, et ce, au vu et au su de tout le monde. Ils étudient durant tous les jours de la semaine, sans répit, sans loisirs, sans souffler, et cela engendre des travers.
Les facteurs socioéconomiques ont-ils un rôle dans la genèse de la délinquance?
Il faut savoir que beaucoup de jeunes font face au chômage. Beaucoup tombent dans le désespoir à cause des conditions sociales délétères, surtout avec la crise sanitaire actuelle et les difficultés économiques.
Comment les conditions sociales favorisent-elles l’émergence de ce phénomène ?
La question sociale est au centre de ce phénomène, en effet, car la famille algérienne a un faible revenu et n’arrive pas à joindre les deux bouts, face à la dégringolade du pouvoir d’achat et à la flambée des prix des produits de première nécessité.  Il faut savoir que la ruée des élèves vers les cours particuliers s’explique par la médiocrité de l’enseignement. L’exemple des élèves de la terminale est patent. Dès qu’ils reçoivent leur convocation en mars pour passer le baccalauréat, ils ne vont plus au lycée, et ce, pour assister aux cours particuliers. Et beaucoup d’enseignants les incitent à suivre des cours particuliers.
Quid des loisirs ?
Justement, les collectivités locales offrent très peu d’espaces et de moyens de loisirs. Dès que vous sortez des grandes villes, il n’y a  ni salles de cinéma, ni théâtres, ni piscines, ni aires de jeu, ni activités culturelles ou sportives. Il existe une société civile, mais elle est plus dans le caritatif qu’autre chose. Les enfants deviennent en somme des machines uniquement pour réussir dans les examens. C’est contre-nature et c’est une déhumanisation des enfants, et c’est là où les choses dérapent et que les jeunes optent pour la harga et autres.
Quelles sont les solutions à la délinquance ?
Il faut ouvrir un véritable débat public sérieux et sincère avec tous les spécialistes pouvant permettre de prendre en charge cette question. De même qu’il faut que les pouvoirs publics réforment les écoles et les universités pour les rendre aux normes internationales et permettre aux élèves de s’épanouir. Dans le même ordre d’idées, il faut améliorer le pouvoir d’achat des familles et lutter contre les hausses des prix et la cherté de a vie.
Entretien réalisé par Fatma-Zohra Hakem