Dr Mouloud Ounnoughène, neurochirurgien, ancien professeur de piano : «La musique embaume les fêlures de l’âme»
Le docteur Mouloud Ounnoughène est neurochirurgien, ancien professeur de piano et producteur d’émissions radiophoniques sur les musiques du monde. Grand passionné des impacts de la musique sur le cerveau, il revient avec ce nouvel ouvrage, sorti récemment et intitulé «La musique autrement, de la note à la thérapie». Il y décortique les bienfaits de la musique sur la santé mentale ainsi que les implications thérapeutiques de la musique sur les différentes pathologies. Après la conférence qu’il a animée, il y a quelques jours, à la maison de la culture de Tizi-Ouzou sur cette thématique, il répond à nos questions.
Comment expliquez-vous la complémentarité entre la musique et la neurochirurgie ?
J’ai commencé à faire de la musique à l’âge de 7 ans, ayant une pratique très régulière durant plus de 15 ans dans l’atelier solfègepiano de la maison de la culture de Tizi Ouzou avec aussi des périodes de master class. J’ai intégré naturellement des ensembles musicaux, fait de la scène et formé mon propre groupe Massin’s avec lequel on a fait des tournées et participé à des concours dont celui du Festival international des musiques universitaires (FIMU) de Belfort en France. Au fur et à mesure de la pratique, je me suis rendu compte que la musique suscitait en moi d’agréables effets relaxants et, en bonus, du bénéfice dans mes études. Il était tout à fait opportun au médecin que je suis de chercher, de prospecter le modus operandi de l’énigme musique et cerveau. Au fait, au cours de certaines lésions cérébrales qu’on observe lors de traumatismes crâniens ou d’AVC par exemple, ces dégâts peuvent entraîner un dysfonctionnement de la perception, de l’harmonie ou de la rythmicité des mélodies. Ultérieurement, les explorations radiologiques dont l’IRM ont montré que l’hémisphère droit (la moitié droite du cerveau) est impliqué dans la reconnaissance des mélodies et du chant alors qu’au gauche incombe l’analyse harmonique et contrapunctique des chansons. Par ailleurs, au cours d’une aphasie ou trouble du langage survenu par exemple des suites d’un AVC, l’orthophoniste aura recours à la thérapie mélodico-rythmique pour rééduquer ses patients.
Comment la musique intervient-elle dans la science, en particulier dans le traitement de certaines maladies neurocognitives ?
En plus de ses palettes esthétiques et de la gymnastique émotionnelle qu’elle induit, la musique possède cette puissance intrinsèque qui mobilise plusieurs aires de notre cerveau. Aussi, l’interconnexion aux différentes régions sensorielles fait en sorte que cet art présente une robustesse neuronale qui semble résister au temps. Malgré l’atrophie du cerveau des personnes âgées présentant des soucis de mémoire, il persiste souvent des résidus mnésiques qu’on peut à juste titre démanteler par une pratique musicale ou tout simplement par des ateliers de chants avec comme condition des thèmes autobiographiques sensibles qui rappellent l’enfance ou des souvenirs agréables lointains. Une action préventive contre la survenue des maladies neuro-dégénératives, à leur tête la maladie d’Alzheimer, est observée chez les personnes qui pratiquent ou/et qui ont pratiqué la musique ou le chant. En tous les cas, le risque sera moindre de développer ces maladies. Différentes études scientifiques ont montré les bénéfices de la musique sur les fonctions cognitives.
La musique nous apaise, nous détend, la thérapie par la musique est une entité très ancienne et pratiquée bien avant le Moyen-Âge, n’est-ce pas docteur ?
La musique et ses bienfaits représentent un adjuvant fort intéressant pour la santé. Ses vertus de résilience sont bien prouvées. Il est établi qu’à l’audition de musiques qui nous plaisent et qui nous émeuvent, nos rythmes biologiques se calment, la fréquence cardiaque se ralentit, de même que la tension artérielle. Notre stress se voit également dissipé. Ceci est prouvé biologiquement par la baisse des substances de stress (cortisol, adrénaline…) dans le sang et la production en contrepartie du neurotransmetteur du bien-être et du plaisir, à savoir la dopamine. La musique se révèle être le bon «plaster» contre les vicissitudes de l’âme. Au fait, l’homme a toujours cherché à exorciser ses angoisses et à rétablir un équilibre entre son soma et son psyché. Depuis les temps les plus lointains, le son, la voix et la musique ont été utilisés pour embaumer une fêlure de l’âme. Ainsi, les modes musicaux grecs sont suggestifs d’états d’âme, c’est le principe même de l’éthos. Platon, Aristote et Pythagore ont produit des traités dans ce sens. Le mode dorien, qui est considéré comme le mode du génie de la Grèce antique, crée un sentiment de force et de joie. Selon l’abbé Wartelle, le mode phrygien présente une harmonie bachique et enthousiaste, alors que Platon pense qu’il est propre à exciter les vertus guerrières. Le philosophe musulman médiéval, d’origine persane, Al Farabi, qualifié de second maître (le premier étant Aristote), est un érudit qui cultivait un intérêt particulier pour les livres d’Aristote, et s’est aussi imprégné d’éléments platoniciens. Au passage, on n’omet souvent de rappeler que les savants grecs ont souvent été nourris par les prêtres de l’Egypte antique. Al Farabi est considéré comme l’un des plus grands théoriciens influents au Moyen-Âge. Dans son «Kitab el musiqi elkabir» ou le grand livre de la musique, l’érudit pense qu’une des formes de la musique s’inspire de nos passions, de notre état d’âme; l’homme émettra une teinte vocale qui variera en fonction de son état d’âme du moment, elles «révéleront» ainsi son émotion. Ce sont-là, des éléments de musicothérapie, tels qu’ils sont proposés aujourd’hui. Dans son ouvrage «Echiffa», Ibn Sina compare les battements du cœur aux pulsations du rythme. Il a aussi écrit son célébrissime «El qanoun» qui a influencé le monde médiéval occidental pendant plus de cinq siècles. Il y évoque les sentiments de pureté et d’élévation qu’induit la musique. Al Kindi, qui est un des précurseurs de la musicothérapie, a été influencé par Hippocrate. Ce dernier a établi la théorie qui repose sur la circulation des quatre humeurs (liquides) dans notre organisme. En alliant la psychologie à l’art, Al Kindi fait correspondre chacune des 4 cordes de son luth à un tempérament.
Quels sont l’intérêt et l’utilité d’une pratique artistique, plus particulièrement musicale, notamment chez l’enfant ?
Dans son rapport de novembre 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît les bénéfices des activités artistiques sur la santé de l’individu. Au fait, l’exercice et la pratique régulière d’un instrument de musique permettent de provoquer des connexions entre les neurones (synapses) dans les régions du cerveau en rapport aussi bien avec la motricité, l’audition que l’émotion, en découlera par la suite des effets de transfert bénéfiques pour la santé. L’apprentissage de l’art favorise l’imagination, éveille les sensibilités et stimule l’esprit critique, il représente la clé d’accès aux savoirs. Il est important de développer dès le jeune âge l’expression artistique et le sens esthétique de l’enfant avant que les codes sociaux ne prennent le dessus. L’expérience esthétique de l’enfant doit s’exprimer dans son «œuvre» : dessin, chant et jeu instrumental. A travers sa spontanéité et son intuition, il exprimera d’une façon démasquée son émotion et mettra son inconscient, ses rêves, sa vie intérieure sur papier ou en pratique artistique, il se sentira ainsi en harmonie avec lui-même. Albert Camus, dans son ouvrage «Le mythe de Sisyphe», affirme : «L’œuvre d’art naît du renoncement de l’intelligence à raisonner le concret.» L’étude de la musique à l’école encourage la pensée créative, aide énormément à l’intégration sociale des jeunes à travers leur participation à des ensembles musicaux, des chorales ou des orchestres. Les élèves hyperactifs ou ceux porteurs de troubles de concentration trouveront leur compte dans une pratique artistique. L’apprentissage d’un instrument de musique permet de développer la psychomotricité et d’améliorer la coordination fine. Les percussions permettent dans certaines situations une expression médiatisée de l’agressivité et sont aussi considérées comme un bon exercice de maîtrise de la motricité. En définitive, la musique participe à l’expression globale de l’être humain et s’avère être un révélateur d’émotions enfouies.