In Guezzam : Sur des kilomètres d’espoir
In Guezzam signifiant «source au lézard» en tamachek est située à 420 km à l’extrême sud de Tamanrasset et s’étend sur plus de 88.000 km2. Elle est habitée par 33.000 habitants et comprend deux communes: In Guezzam et Tin Zaouatine. Elle est délimitée au Nord par la wilaya de Tamanrasset, à l’Ouest par la wilaya de Bordj Badji Mokhtar et au Sud par le Mali et le Niger. Auparavant, In Guezzam était une wilaya déléguée, créée selon la loi no 15-140 du 27 mai 2015, portant création de circonscriptions administratives dans certaines wilayas et fixant les règles particulières qui leur sont liées, ainsi que la liste des communes qui sont rattachées à elle. Avant 2019, elle était rattachée à la wilaya de Tamanrasset. In Guezzam possède un climat méditerranéen chaud avec été sec, selon la classification de Köppen-Geiger. La wilaya est traversée du Nord au Sud par la RN1.Elle dispose d’un aéroport situé à 600 m à l’ouest de la ville. Deux vols par semaine sont assurés par Air Algérie.
In Guezzam est située à l’Extrême Sud. Deux options pour s’y rendre : route ou avion. Le deuxième choix semble être le plus évident. C’est plus confortable et le voyage se fait tout en douceur. Pas si sûr! Le vol Alger-Tamanrasset du 18 mars 2022 est infiniment harassant, stressant et angoissant. Récit. Vendredi 18 mars 2022. Il est 8h. A L’aéroport Houari-Boumediène d’Alger (lignes domestiques), des voyageurs à destination de Tamanrasset sont là. Une immense file d’attente devant le guichet d’enregistrement. Rien à dire! Tout se passe normalement. L’opération prend le temps qu’il faut. Sans retard. Une fois l’enregistrement effectué, les passagers sont invités à rejoindre le hall d’embarquement. Le vol aura bel est bien lieu. L’information de son annulation, en raison d’un vent de sable, s’est révélée fausse. Mais le sourire des voyageurs est de courte durée. Et pour cause, pas de vol direct. La nouvelle est tombée. Il y a une correspondance à Illizi. Première déception. Ça murmure! Les passagers ne veulent pas y croire. Les questions fusent. Sur les visages, un grand étonnement.
Si j’avais su…
«Si j’avais su, je ne serais pas venu. J’aurais annulé mon billet», lâche un jeune, la quarantaine. Originaire de Tizi Ouzou, il travaille, depuis 13ans,à Tamanrasset, dans un hôtel connu de la wilaya. Il confie que ce n’est toujours pas facile de gérer un vol avec escale. «J’ai toujours privilégié le vol direct, c’est plus rapide et moins de fatigue…Là, c’est différent, je suis déçu et en colère contre Air Algérie, il ne nous a même pas été précisé qu’il s’agit d’un vol avec escale.» Un autre passager ajoute : «Il est vrai que la compagnie n’a pas précisé le type de vol, toutefois, ce qui a attiré mon intention, c’est sa durée. Le vol direct ne dure pas 4 heures. C’est impossible!». Le temps passe. Chacun y va de son commentaire, sans jamais rien changer à la donne. L’heure de l’embarquement arrive. Tout le monde à bord! L’avion décolle sans grand retard. Durant tout le vol, le silence prend la parole.
Avant même l’atterrissage sur le tarmac de l’aéroport d’Illizi, une information circule: le vol Illizi-Tamanrasset pourrait être retardé? Va y comprendre quelque chose! Tout le monde pose la même question, pourquoi? Du bout des lèvres, le steward dévoile la raison : «La visibilité est très faible à Tamanrasset. Des vents violents chargés de poussière de sable ont drastiquement réduit la visibilité aux pilotes. Impossible d’atterrir!», Quelques minutes après, l’avion atterrit à l’aéroport Takhamalt. Les passagers sont invités à attendre dans la salle d’embarquement. Le commandant de bord doit prendre une décision. Poursuite du vol ou retour sur Alger ? Le suspense est à son comble.
Suspense…
L’attente dure. La patience perd patience. La salle est exiguë, avec de petites fenêtres. Ça étouffe. Les passagers sont entassés dans un espace très réduit. Une plaque indique qu’il est interdit de fumer. Comme si de rien n’était, des passagers inconscients fument quand même. La colère commence à s’emparer des passagers. Une heure est déjà passée, aucune information. Entre-temps, des voyageurs sont unanimes à rejeter l’idée d’un retour à Alger. «A eux de trouver la solution. Il n’est pas question pour nous de retourner», s’indigne un quadragénaire, au bord de la crise de nerfs. Un autre prend la parole: «On ne nous a pas parlé de visibilité à Tamanrasset alors que le vol du matin a bel et bien atterri. Où est donc le problème ?»
La salle bouillonne. «Peut-être que le vent de sable a réduit la visibilité. Admettons que cela soit vrai, mais mon Dieu pourquoi ils ont décidé de décoller d’Alger. Ils auraient pu annuler le vol, ça aurait été une décision compréhensive, mais le dire à Illizi… Nous n’allons pas nous taire. Il n’est pas question pour nous de retourner à Alger», lâche un autre voyageur. Au moment où la tension est à son comble, une nouvelle information change tout. Après plus de deux heures, l’avion décolle. Personne n’est d’humeur à parler. Le silence prend la parole. Quand quelqu’un veut parler, il le fait silencieusement. Après plus d’une heure de vol, l’avion atterrit sur la piste de l’aérodrome de Tamanrasset. Les voyageurs semblent se réveiller d’un long sommeil, d’un interminable voyage. La journée est étouffante. L’atmosphère est glauque. Jour fantôme! Se rendre au centre-ville pose problème. Pas de taxi. C’est vendredi. Il faut prendre un clandestin.
Chemin faisant, le chauffeur qui nous accompagne raconte sa vie, ses aventures et mésaventures. Il est originaire de Tlemcen. Il est installé dans cette région depuis plus de 10 ans. «La vie est chère. C’est notre gagne-pain», dit-il. Tout d’un coup, il prend son téléphone : «Dépêchez-vous, y a du monde à l’aéroport», lui lance-t-il. Facile de deviner à qui il parle. «Nous les clandestins, nous nous appelons souvent quand des occasions pareilles se présentent. On doit s’entraider pour vivre.» Arrêt au centre-ville, très animé, même un vendredi. Mieux vaut se reposer. Demain, un autre vol pour In Guezzam. Il faut être à l’aéroport dès 7h.
Tout se passe sans tracas. Aucun retard à déplorer. L’avion d’Air Algérie atterrit à l’aérodrome d’In Guezzam, après une heure de vol. La wilaya? Immense horizon plat. Aucune trace d’arbre. Il fait déjà très chaud. L’espoir que le «brasier» sera moins brûlant après le coucher du soleil est mince. Difficile de comprendre d’où vient cette chaleur insupportable. Un jeune lâche: «Tamanrasset paraît clémente.» A la sortie de l’aéroport, ni taxi ni clandestin. Marchons. De la chance: un responsable de la wilaya se charge lui-même de notre déplacement. La distance qui sépare le siège de la wilaya de l’aéroport est courte. «Pour pouvoir se déplacer, il faut connaître quelqu’un d’ci, sinon tu n’iras nulle part. Le transport urbain n’existe pas. La wilaya dispose de véhicules, mais manque de chauffeurs. C’est une nouvelle wilaya, tout reste à faire», confie-t-il.
Toute la ville en chantier
Moins de 10 minutes après, arrivée au siège de la wilaya. Les traces de l’architecture saharienne sont visibles sur la construction. Une bâtisse grise construite à base de parpaing ou de terre cuite. A l’intérieur, les travaux se poursuivent à une cadence accélérée. Des matériaux de construction, ciment, plâtre, carrelage, faïence et brique sont déposés partout. Le bruit de la tronçonneuse résonne et déraisonne. «C’est samedi, on doit en profiter pour augmenter le rythme des travaux», murmure un ouvrier, tout souriant. En dehors du siège de la wilaya, la ville d’In Guezzam est un chantier immense à ciel ouvert. On y trouve des logements et locaux administratifs reconstruits et rénovés. Plusieurs commerces. D’autres infrastructures sont prévues. A midi, inutile de sortir. Le soleil, la fournaise, 40° à l’ombre. Il est impossible de rester chez soi ou dans son bureau sans climatiseur. Mission impossible ! Dehors, la vie est insupportable. Le centre-ville bénéficie d’actions d’embellissement, de revêtement de trottoirs et d’extension de l’éclairage public. A la fin des travaux, la ville aura certainement un nouveau look et un meilleur cadre de vie. Actuellement, beaucoup manque et…à tous les niveaux. Du pain sur la planche pour le personnel administratif, plus que jamais déterminé à mener à bon port la politique de développement de la wilaya. «Nous sommes conscients des insuffisances, nous manquons de moyens humains et matériels, mais ce qui est sûr en revanche, c’est que nous allons tout faire pour donner une nouvelle image à la wilaya malgré les conditions climatiques difficiles. Nous ne sommes pas ici pour le tourisme, mais pour le travail et nous allons réussir», confie un responsable.
Sur place, on peut y croiser des commerçants. «Je suis d’Ath Ouartilane. J’ai 26ans. Je vis ici depuis 4ans. Avant, j’étais à Tamanrasset», raconte un jeune propriétaire d’une pizzeria, sise au quartier dénommé Sabarni. Il travaille avec son frère et son cousin. «Ce n’est pas encore la période des grandes chaleurs. La température frôle parfois les 50°. Même si vous êtes ici pour une petite semaine, vous aurez toujours l’impression de vivre plusieurs mois dans un endroit situé hors du temps et de l’espace», taquine-t-il. Il regrette le manque de certains produits comme l’huile de table, la farine et la semoule. Il met également en avant la cherté de tous les produits alimentaires.
En ville, les langues se délient. «Notre ville manque de tout. Il n’y a rien. Les responsables n’ont rien fait pour améliorer les conditions de vies des habitants. Je suis désolé de le dire, mais c’est la vérité», lâche-t-il. Il ajoute : «Les déchets ménagers sont partout, les produits de large consommation sont soit introuvables, soit chers. Notre situation ne s’améliore pas.» Un autre poursuit: «Trouvez-vous normal qu’on commence par le revêtement des trottoirs alors que le pain manque dans les boulangeries et les produits de large consommation commencent à se raréfier.» «Nous n’avons que la nuit pour sortir normalement. Tout le monde sait qu’il est impossible de sortir durant la journée en raison des fortes chaleurs qui sévissent en période d’été. Pourquoi ne pas construire des abris pour les riverains? Pourquoi ne pas implanter des arbres pour aider à fournir de l’ombre», se demande-t-il. Notre interlocuteur n’a pas tort. Il est quasi impossible de circuler le jour. Ça brûle. Par contre, la nuit est moins chaude et douce. Celle-ci tarde toujours à déployer son voile épais et sombre. Ici, le jour commence après le coucher du soleil. Ce n’est pas la vie nocturne par excellence, mais la vie prend vie. Même si la ville n’offre pas un large choix d’ambiance, les noctambules s’y retrouvent. Ils préfèrent rester à l’extérieur de la maison. Il y a des gens attablés dans un café. D’autres circulent. La plupart des commerces demeurent ouverts… Bref un semblant de vie nocturne.
Le fameux point zéro
Se rendre au point zéro reste une motivation de plus et une curiosité personnelle à satisfaire. Le fameux endroit n’est qu’à 5 kilomètres du chef-lieu. Toutefois, pour s’y rendre, il faut avoir des véhicules adaptés aux conditions de circulation surpiste et être capables de se tenir sur une piste sableuse et irrégulière. Il représente le coin le plus reculé sur la carte et point de chute de la Nationale 1. C’est un vaste espace désertique sans bornes. Pour qui ne connaît pas le lieu, il lui sera facile de franchir, sans le vouloir, la frontière algérienne. On y voit des camions attendre de franchir la frontière.
Sur place, les travaux du dernier tronçon de 7 km de la route de l’Unité africaine avancent normalement. Le wali estime que le projet est d’une grande importance pour améliorer progressivement les échanges commerciaux entre l’Algérie et les pays voisins. Il dit que la route aura un grand impact économique sur In Guezzam, ainsi que les régions nigériennes voisines. Les hautes autorités du pays accordent une importance capitale à cette route, compte tenu de son importance et de sa dimension régionale et continentale. Cette route, qui est également appelée route de l’Unité africaine, est considérée comme «la plus ancienne route traversant l’Afrique, d’autant qu’elle constitue un réseau de routes reliant six pays africains, à savoir l’Algérie, la Tunisie, le Mali, le Nigeria, le Niger et le Tchad. Ce qui permet de renforcer les relations économiques Sud-Sud et de réduire les distances entre les peuples de ces pays».
Au plan national, la route traverse 10 wilayas sur une distance de 2.022 km, depuis Alger jusqu’à In Guezzam en passant par Blida, Médéa puis El Méniaâ, Aïn Salah et Tamanrasset, l’une des plus longues routes nationales. Point zéro signe aussi la fin du récit sur la visite d’In Guezzam qui émerge du silence, dans la confiance.
De nos envoyés spéciaux : Amokrane Hamiche et Fouad Soufli