Mohamed Bourahla, écrivain et dramaturge : «Il faut dépoussiérer les esprits, avant les institutions»
Il est poète, romancier, nouvelliste, dramaturge, essayiste et traducteur. Il est tout cela à la fois. Autodidacte, l’enfant de Ksar El Boukhari est devenu écrivain. Chatouillant dans l’écrit, profond dans le contenant et riche dans le contenu, sa plume cherche le beau, le vrai et l’authentique. Ses œuvres déversent des questionnements inattendus et improbables dans l’audace de «dire». Il a connu le mouvement du théâtre amateur algérien dans les années 1970 où il a joué, écrit et monté des pièces. Il écrit avec aisance en arabe et en français et quelques-uns de ses livres ont été présentés au dernier Sila. Il nous invite dans son espace de réflexion, nous interpelle et nous fait voyager dans le monde de l’écriture, son monde. Il nous dit tout, ou presque…
On ne voit plus M. Bourahla sur la scène culturelle ? Quelle en est la raison ?
La première raison est la maladie. Ce fut très difficile. Ceci m’obligea à cesser toute activité culturelle. La seconde, est que j’ai constamment observé une distanciation par rapport à ce que vous nommez «la scène culturelle». Ce n’est pas une question d’ego. J’ai toujours dit, d’ailleurs, que «je n’ai pas de famille, mais que je ne me sens pas orphelin».
Cette pandémie a eu un grand impact sur la culture. Comment avez-vous vécu cette contrainte ?
Ce fut terrible. La pandémie a non seulement laissé des traces sur la culture, mais elle a eu également un impact existentiel sur toute personne sensée. Les soupçons sur l’origine du virus, le confinement, la distanciation physique, les morts, l’incivisme, la précarité, l’accès aux soins, aux services… ont provoqué chez moi une avalanche de questions. Il est impossible, après la pandémie, puis la présente guerre russo-ukrainienne, que notre regard sur le monde, sur la place que nous y occupons ne change pas. Le monde ne peut plus être ce qu’il a été. Les crises postmodernistes sont dépassées (il ne s’agit plus de l’échec des Lumières), le désenchantement selon Max Weber, aussi. Nous sommes en plein dans la cruelle désillusion. Ces événements, agissant comme de véritables coupures épistémologiques, interpellent l’université, les hommes de culture. A condition d’éviter le superficiel et le placage.
Le théâtre est votre domaine de prédilection. Comment se porte notre théâtre aujourd’hui ?
Le théâtre ne se porte pas, aujourd’hui, il se supporte. C’est un cul-de-jatte. Le théâtre mime le théâtre. Son mouvement est fictif. Sa réalité est illusoire. Son public est ailleurs. Malheureusement, dans notre pays, les expériences théâtrales, les plus belles et les plus attachantes notamment, ont toujours été le produit d’individus exceptionnels, passionnés et non pas celui de politique culturelle. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit nullement de nostalgie. Savez-vous que le manifeste théâtral de 1963 exigeait que «pour que la critique d’une pièce soit efficace, saine et constructive, elle doit avoir lieu sur place, en présence du public, des représentants de la presse, des responsables du Théâtre national et des travailleurs de la scène… Après la première représentation d’une pièce, on demandera aux intéressés de bien vouloir participer aux débats.» Il suffit de comparer aujourd’hui, l’ISMAS (Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l’audiovisuel) à l’École nationale d’art dramatique et chorégraphique ouverte en 1964sous la commande de Mustapha Kateb et Mohamed Boudia. Qui oserait prétendre qu’ils ont le même lustre ? Aujourd’hui, deux théâtres pour la capitale, des salles complètement désertées par le public, des artistes – il yen a d’excellents – marginalisés, qui souffrent en silence, prépondérance de l’administration sur l’artistique, absence de théâtre dans les écoles, absence de l’esprit de compagnie dans les troupes… Cette liste n’est pas exhaustive, il va sans dire. Le théâtre est souffrant. Faudrait-il s’étonner ? La solution ? Dépoussiérer, peut-être, les esprits, avant les institutions.
Nous savons que vous aviez beaucoup de projets avant cette pandémie, entre autres avec Ziani-Cherif Ayad. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J’avais des projets qu’il m’a été, à cause de la pandémie, puis la maladie, difficile de suivre ou de concrétiser. Quant à ma collaboration avec Ziani-Cherif Ayad, nous avions effectivement plusieurs projets qui ont été stoppés. Je cite entre autres, le projet «Master class» conçu par «Gosto théâtre» (compagnie de théâtre algérienne créée en 2003 par Ziani-Cherif Ayad que nous prévoyions de doter d’un think tank «le Studio»). Le projet conçu pour être proposé aux théâtres régionaux consistait en un cycle de conférences et des productions à partir de textes de Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mahmoud Darwich et Saadallah Wannous.
Je devais, dans le cadre de ce projet, traiter de l’adaptation théâtrale dont en parle souvent de façon péjorative, montrer qu’elle n’était ni un genre mineur, ni un pis-aller de l’artiste en mal d’inspiration ou un témoin à charge de notre stérilité créative, ni, enfin, une pratique qu’on devrait prohiber au nom des pseudo-alibis de la spécificité ou des replis identitaires.
J’ai participé également à un projet destiné à créer un lieu de représentation porteur d’un type de théâtre différent et créateur d’un public particulier. Ce projet singulier devait voir la création, en partenariat avec l’opéra d’Alger, d’un évènement dont l’intitulé serait «L’opéra fête son théâtre». L’évènement visait à créer un rapport interactif avec le public autour d’un second spectacle qui aurait eu le titre générique de «Café du bonheur». Il y a eu, aussi, le projet d’un théâtre de répertoire avec pleins feux sur l’œuvre du dramaturge Alloula, et ensuite le projet «Printemps des arts» qui aurait dû voir le jour en 2019. Ce dernier projet a fait l’objet d’un dossier conséquent dont je reprends ici les intentions. Il ambitionnait de créer dans la capitale Alger un moment fort qui rendrait visibles toutes ses potentialités culturelles et artistiques, mais qui donnerait aussi envie d’y venir et investir. Ses objectifs étaient de faire connaître l’Algérie des arts, rendre visibles ses acteurs et leurs productions qu’il donnerait à voir et à entendre au public. Il devait permettre aux intellectuels et professionnels de confronter et d’échanger leurs points de vue.
Tout est tombé à l’eau ou mis en veilleuse ?