Notes de voyage : Tadlès, derrière le sour antique
Nous nous attendions à des températures caniculaires, mais rien de cette certitude météorologique. Certes, l’été est bien installé et ne s’en ira pas de sitôt, mais le mercure reste à un niveau appréciable, tout à fait supportable. Sur la plage des Sablettes, les sauveteurs sont déjà aux aguets. Trois corps sont portés disparus, des jeunes originaires d’El Mohamadia. Tout est fin prêt pour en sauver d’autres, la saison s’annonce longue et pénible. Ce qui est certain, la vue est dégagée, le plantage de tentes de fortune, combinaison ingénieuse de parasols et de draps à coucher, n’a pas encore débuté. Bientôt, les Sablettes, comme toutes les plages d’Algérie, ressembleront à des camps de réfugiés. Triste décor au milieu de la Méditerranée qu’Oran célébrera par le sport, toutes disciplines confondues.
Nous nous éloignons de la paisible plage des Sablettes où DJ Snake semble avoir plus de fans que d’ennemis de la création musicale dans sa version zorna-électro. Comme tout est devenu sujet à polémique, soutenu par la démocratisation du réseau social à la virtualité offensante, il est préférable de mettre les voiles pour un ailleurs moins hostile. Vers les terres du cheikh Djilali Aïn Tadlès. Mais pas avant un passage devant le cinéma portant le nom d’un autre cheikh, Hamada. A l’affiche, Saroukh, le film qui a commencé par le rêve solitaire de Latif Benahmed avant de devenir celui de 55 jeunes comédiens et techniciens de la ville. Nous étions venus, il y a quelques mois de cela, suivre le tournage de ce long métrage, filmé au portable dans le vieux Mosta et son vieux cinéma Le Vox, dévoré par les flammes lors d’un spectaculaire incendie.
Puisque la projection est prévue à 19 h, nous avons tout le temps de jeter un œil au cinéma voisin, Le Colisée, du moins ce qu’il en reste. Tout un pan de l’histoire de la ville s’est effondré, la salle étant restée trop longtemps close pour espérer sa sauvegarde. Aujourd’hui, c’est son sauvetage qui devient problématique. Comme tous les arbres ne cachent pas la forêt, ceux de Sidi Othmane ne peuvent rien devant la muraille et les miradors de l’ancienne prison. Aïn Tadlès est à une vingtaine de kilomètres et autant de dos-d’âne sur le bitume. Nous ne venons pas revisiter le registre musical de la région ni donner des idées de tubes aux DJ mais repérer les décors d’un film en préparation. Le coquet village de Sour, à inscrire sur le cahier des rares lieux propres, dégage de l’hospitalité à chaque coin de rue. Elle est légendaire dans les parages et pourvu qu’elle le reste. Ne s’est pas trompé celui qui lui donna le nom de Belle-Vue. Derrière le reste de murs de cette ancienne ville antique, une vue qui fera pleurer plus d’un exilé de retour sur sa terre natale.
De cette commune à la daïra de Tadlès où il fait également bon-vivre, via une route sinueuse et ombragée, nous rappelant celle d’El Kseur, en petite Kabylie. Avant que la muraille en béton armé d’une nouvelle prison nous rappelle à l’ordre d’une comparaison défaite. Nous sommes bien à Tadlès où la chanson engagée contre le colonialisme était une véritable arme de guerre. Les poètes réclamant la liberté par le verbe tranchant. Soixante ans plus tard, les cafés maures sont revenus de droit aux Algériens. Ils se prélassent sur les terrasses et profitent de l’air frais qui s’y engouffre. Avant le sirocco que réserve l’été durant ses mois les plus chauds. D’ici à ce que Soolking ou Snake viendraient à mixer galbi tfakar (Mon cœur s’en est rappelé), nous nous rapprochons du douar de Hchachta Amor, un décor qui réveille nos vieux rêves socialistes. Nous ne risquons rien, l’oued est à sec. Ici, les hivers sont pluvieux et les populations vulnérables face aux crues et aux inondations. Les pieds secs, nous suivons au pas l’équipe du film «Abed».
Ses membres ont les yeux partout, ne manquerait plus que de regarder sous les pierres. Nous vous l’avons bien dit, l’hospitalité est bel et bien une affaire de Aârch qui nous souhaite la bienvenue dans un parler calme et un salut de paix. Les patios, les chambres, les terrasses sont visités, avec une vue aussi belle mais moins plongeante sur les montagnes avoisinantes. L’équipe dévalise l’étagère de gaufrettes d’une échoppe qui s’ouvre sur le terrain vague et en offre aux enfants qui passeraient des nuits blanches à songer à ce tournage, tombé droit du ciel.
Une inhabituelle effervescence s’empare du douar, le temps des repérage qui vont prendre fin à l’heure où le soleil se couche derrière les murs de Sour. Nous devons nous dépêcher, si nous ne voulons pas débarquer en retard dans la salle cheikh Hamada où Saroukh est projeté après une avant-première intime dans le décor calciné du cinéma Le Vox. Adossé au mur, en compagnie de certains acteurs du film, le réalisateur semble inquiet derrière ses lunettes sombres. Mais tout aussi fier de son film pour lequel il a engagé ses propres et maigres fonds. Marseillais d’adoption, Latif Benahmed craint que le public ne soit pas au rendez-vous et que son Saroukh ne décolle pas. Surtout que le transport sera rare, voire nul, une fois la projection terminée. Sa peur s’estompe, le public n’a pas boudé son exploit. Celui d’une autoproduction qui révèle l’existence, timide soit-elle, d’un cinéma indépendant qui assume pleinement ses choix financiers et artistiques.
Le monde du Saroukh, de la consommation et la vente de psychotropes, est investi par le téléphone portable de Latif Benahmed qui a fait ses premiers pas dans le cinéma d’Allouache. Harraga, sa toute première expérience. De beaux plans dans les vieilles ruelles de Tajdit, une intrigue qui ne nous laisse pas sur notre faim mais aussi des faiblesses dans le scénario. A vrai dire, il n’y en avait pas. Là où réside la force du réalisateur et de son équipe artistique à nous raconter une histoire qui se tient de bout en bout. Chose sûre, ce premier film vaut la centaine qui ont été financés grassement et dont la qualité a été piètrement avérée. Après le décollage réussi du Saroukh, chaleureusement applaudi, place aux distinctions. D’abord, celle de Latif Benahmed et de ses comédiens, dont sa mère, par le jeune et ambitieux directeur de la culture, Mohamed Merouani. L’homme qui ne rate aucun spectacle et aucune projection, se fond en excuses devant l’équipe du film et le public. L’aide de ses services a été déficiente.
Il promet de faire mieux la prochaine fois. Lui qui se veut proche des jeunes artistes de la ville et attentif à leurs attentes. Déjà une première bonne nouvelle, le cinéma Le Vox sera restauré et sauvé des décombres du Colisée voisin. Voilà qui fera le bonheur des membres de l’association Abderahmane-Kaki qui n’ont jamais quitté ce lieu après l’incendie ravageur. S’ils sont tous là, c’est aussi pour célébrer le retour du discret Mohamed Mouffok que l’on surnomme déjà le «Cannois». Le film de Philippe Faucon, dans lequel il tient le premier rôle, a été retenu par la quinzaine des réalisateurs. Une fierté pour le tout Mosta dont le fils prodige a foulé les marches du prestigieux festival. Il gardera jalousement le bouquet de roses offert sur la table de restaurant où toute l’équipe du film a pris place dans ce qui ressemble à une usine de brochettes.
On parle peu du film et beaucoup des Jeux méditerranéens qui se tiendront prochainement chez le voisin oranais. La frustration se lit dans les yeux de ce talentueux danseur de ballet, également acteur principal dans le Saroukh mostaganémois. Il aurait tant aimé faire partie des troupes sélectionnées et engagées pour l’ouverture des JM mais il est retenu à l’opéra d’Alger pour une épopée théâtrale, célébrant le soixantième anniversaire de l’indépendance. A la même table, d’autres comédiens et danseurs qui sont rentrés d’El Bahia, la tête pleine de souvenirs de jeunesse et de sons des nuits sans sommeil. On effleure à peine les sujets polémiques et particulièrement celle des communicants qui ne maîtrisent aucune autre langue que l’arabe. Ce qui complique les échanges entre Méditerranéens. Fin du repas convivial dans ce restaurant-usine où la consommation de la frite surgelée défie les lois de la production nationale. Cap vers les débonnaires Sablettes après une visite éclair de la sulfureuse Salamandre où la vie nocturne, volée à la vieille ville, se déplace chaque soir d’été. Familles entières croisent des jeunes en bandes pour un même bol d’air au goût d’iode dans la bouche.
Dernier virage avant le lit douillet de la résidence El Omara pour une nuit de sommeil bien méritée, le voyage a été long depuis notre départ, le matin, d’Alger. Nous attend le lendemain un jour de noces auquel nous sommes conviés. Parl’un des plus brillants comédiens de sa génération. Halim Rahmouni, actuel directeur du théâtre régional de Guelma. Nous vous raconterons le déroulé de ce repas purement mostaganémois dans une prochaine notes de voyage. Après notre réveil par le bruit des bulldozers qui remuent le sable des Sablettes pour un été propre sur tout le long du littoral.