Prix des produits alimentaires : Les raisons d’une hausse
Excepté les perturbations enregistrées dans la distribution de l’huile de table, la semoule et le lait, tous les produits prisés des consommateurs pendant le mois de Ramadhan y son proposés. Toutefois, la flambée des prix a laissé un goût amer aux clients, particulièrement les quinze premiers jours.
Aperçu : La courgette est vendue à 160, voire 200 DA le kilo, la tomate est affichée à 140 DA, la pomme de terre est cédée à plus de 140 DA. Les fruits et viandes sont inabordables. Les dattes s’affichent entre 500 et 900 DA. La banane a atteint les800 DA le kilo. La pomme locale est proposée à 900 DA le kilo, alors que celle d’importation se vend à 1.800 DA le kilo. Le poulet est vendu entre 400 à 500 DA le kilo, la dinde est affichée à plus de 700 DA. Pour ce qui est du prix du kilogramme de viande ovine, il faut compter pas moins de 1.600, voire 2.000 DA et le prix du kilo de viande bovine a atteint les 1.800 DA. Pourtant, la veille, un responsable au ministère du Commerce avait annoncé l’ouverture de 1.151 marchés de proximité afin de couvrir la demande et par conséquent asseoir une maîtrise des prix. Que s’est-il passé ? La demande explique-t-elle à elle seule la flambée ? Faut-il espérer une baisse des prix ?
Professeur à la faculté des sciences économiques de l’Université Aboubakr-Belkaïd de Tlemcen, Chaïb Baghdad estime que c’est un phénomène purement économique du moment que la demande dépasse l’offre. «On se retrouve devant une situation inflationniste qui n’est pas trop surprenante. Les prix sont réglementés et déterminés par les lois de l’offre et de la demande, et dès que cette dernière devient plus importante, les prix s’envolent», rappelle-t-il.
Le secrétaire national chargé des finances à l’Union générale des commerçants et artisans algériens, Abdelkader Boucherit, a estimé que la hausse des prix s’explique par plusieurs facteurs, entre autres, la crise économique mondiale, la forte demande et la mainmise des lobbys sur la production nationale et sur la chaîne d’approvisionnement. «L’Etat doit démasquer ces barons qui seraient derrière la hausse des prix et d’être à l’origine des pénuries», a-t-il accusé d’un ton convaincu.
Le président de l’Association de protection et orientation du consommateur et son environnement, Mustapha Zebdi, a mis en avant plusieurs raisons à la fois logiques et irrationnelles pour expliquer la hausse des prix. «La dépréciation du dinar et la hausse des prix internationaux ont impacté lourdement les coûts de la production nationale», a-t-il expliqué, non sans pointer du doigt la mauvaise régulation du marché. Il a mis en exergue l’écart des prix entre agriculteur et consommateur. Selon lui, la marge bénéficiaire des commerçants a été multipliée par dix.
A. Hamiche
Mercuriale : «Pas de baisse dans l’immédiat», selon les professionnels
Les prix des produits ne risquent pas de baisser de sitôt. Associations des commerçant et des consommateurs ainsi que les économistes affirment que la courbe de l’inflation qui a caractérisé le mois du Ramadhan ne fléchira pas ni dans les jours ni dans les semaines qui viennent.
Le secrétaire national chargé des finances à l’Union générale des commerçants et artisans algériens, Abdelkader Boucherit, ne s’attend pas à une baisse conséquente des prix dans l’immédiat. «Les prix seront toujours élevés sauf pour les produits de saison. Le gouvernement doit maîtriser la production et la distribution. Tous les produits échappent au contrôle du ministère du Commerce», a-t-il dit. Et d’ajouter : «Les commerçants n’y sont pour rien.»
Le président de l’Association de protection et orientation du consommateur et son environnement, Mustapha Zebdi, a indiqué que «tant que la numérisation du secteur de l’agriculture ne répond pas aux attentes, il ne peut y avoir une visibilité de l’évolution des prix des denrées alimentaires». Il a expliqué que les consommateurs peuvent agir par le lancement de campagnes de boycott. Mais il a souligné que cette action serait moins efficace quand il s’agit d’un produit de base.
Chaïb Baghdad, professeur à la faculté des sciences économiques de l’Université Aboubakr-Belkaïd de Tlemcen, abonde dans le même sens. «Cette flambée risque de demeurer encore longtemps tant que les consommateurs ne réduisent leurs achats et stoppent leurs frénésies de consommation irrationnelle», alerte-t-il. L’économiste note que même si les prix augmentent parfois à cause des pénuries et insuffisances constatées au niveau des marchés, ceci n’a pas été le cas durant le mois sacré. Il a estimé qu’une baisse des prix ne peut se produire que si la demande devient plus rationnelle et disciplinée et en même temps le niveau de l’offre demeure le même. Sa crainte est devoir l’offre baisser vu que les producteurs et commerçants ont déjà bien amélioré leurs revenus et vont prendre quelque temps avant de reprendre leurs activités. «C’est une bataille gagnée par ces derniers et perdue par une certaine catégorie de consommateurs», estime-t-il. Il a indiqué que l’Etat peut intervenir pour servir d’intermédiaire entre les producteurs, les commerçants et les consommateurs, à travers une politique économique bien appropriée et adéquate, tant en termes de fiscalité, revenus et salaires, aides et soutiens aux catégories démunies, appuis financiers et bancaires et autres mesures allant dans le sens d’un équilibre entre les acteurs engagés dans cette bataille, sans que cela ne porte préjudice à aucune partie engagée.
Les ministères de l’Agriculture et du Commerce ont procédé, l’année dernière, à l’installation d’une commission interministérielle visant à coordonner leurs actions pour lutter contre le phénomène de la spéculation et la monopolisation du marché.
Amokrane H.
Mourad Goumi, économiste : «Reconstruire une architecture commerciale efficace»
Dans cet entretien, l’économiste Mourad Goumiri estime que la régulation du marché doit se réaliser par des arbitrages, au niveau macroéconomique, entre la production nationale, les importations et les exportations.
Quels sont les raisons de la flambée des prix durant le Ramadhan?
Deux raisons essentielles à ce phénomène récurrent. La première résulte de la frénésie de la consommation et du gaspillage de produits alimentaires divers, ce qui déséquilibre le marché et induit une hausse sensible des prix. Si on ajoute à cela la désorganisation des marchés de gros, de demi-gros et de détail, nous arrivons à ce résultat chaque année de manière régulière, malgré les mesures prises par les pouvoirs publics qui concentrent leur action sur les instruments répressifs au lieu de ceux économiques.
La règle de l’offre et de la demande explique-elle cette hausse?
La règle de l’offre et de la demande ne s’applique que lorsque les acteurs sont «raisonnables» (homo-economicus), c’est-à-dire qu’ils consomment en fonction de leurs besoins et pour satisfaire leur minimum vital, mais non leurs fantasmes culinaires liés à cette période de jeûne qui, normalement selon les exégèses religieux, devrait être une période de sobriété, de solidarité et de religiosité.
Des parties disent que la spéculation y est pour quelque chose…
Il y a deux formes de spéculation, celle positive qui consiste à anticiper les niveaux des prix et d’agir en conséquence, et celle négative qui consiste à créer artificiellement des pénuries pour agir sur la hausse des prix. Dans notre pays, c’est cette dernière qui prévaut et les saisies diverses et variées entreprises par les services de sécurité ne sont qu’une goutte d’eau par rapport à la réalité pour tous les produits et ceux notamment subventionnés (semoule, farine, huile, sucre, lait, pâtes, banane…).
Faut-il espérer une baisse des prix ?
Tout dépend des politiques économiques mises en œuvre par les pouvoirs publics. Pour l’instant, ce sont les instruments répressifs qui sont privilégiés au détriment de ceux économiques, ce qui ne me paraît pas la bonne solution. Reconstruire une architecture commerciale efficace (marchés de gros, de demi-gros et de détail, parisien, itinérant, points de vente…) et une chaîne logistique fluide (transport, stockage, froid, circuits de distribution…) est d’une absolue nécessité et les instruments répressifs ne doivent être pris qu’à la marge. Eduquer plutôt que de réprimer est la règle d’or dans ce genre de problématique.
Comment réguler le marché?
La régulation du marché doit se réaliser par des arbitrages, au niveau macroéconomique, entre la production nationale, les importations et les exportations, en premier lieu. Elle doit également prendre en compte le niveau des prix relatifs, les subventions et le pouvoir d’achat des ménages. Enfin, elle doit permettre la mise en place d’une concurrence loyale entre les différents opérateurs actifs sur le marché.
Comment le conflit russo-ukrainien peut jouer les trouble-fêtes ?
Ce conflit a un impact économique et financier international, dans la mesure où il déséquilibre les prix de l’énergie par la géopolitique et non pas par les fondamentaux ainsi que tous les produits chimiques et pétrochimiques en aval, ceux de la production des céréales et des aliments du bétail et enfin ceux de l’industrie de l’armement. Il faut également ajouter que les sanctions prises réciproquement auront un impact sur le système monétaire et financier, puisqu’elles remettent en cause le rôle du dollar américain dans les transactions internationales et dans les réserves de tous les pays au monde.