Programmes télé : Quand la violence envahit nos petits écrans
Les grilles des chaînes de télévision nationales, publiques et privées, étaient toutes au rendez-vous cette année comme le veut la tradition pour présenter des programmes aussi riches que variés, si l’on prend compte du nombre important de productions télévisées.
Ladite diversité peine, toutefois, à s’élever au niveau de la qualité des films exigés en ce mois de piété et de tolérance. Les contenus audiovisuels sont, en majorité, liés à l’excès de représentations violentes et de mélodrame. Une thématique qui s’est imposée comme une évidence pour ne laisser guère le choix aux familles algériennes, dans ce passe-temps favori, de découvrir un programme drôle et léger où l’humour se taille la part du lion. La violence et le mélodrame ont envahi ce petit écran, pendant un audimat au summum, présentant une société violente où se mêlent la drogue, le vol et la guerre des gangs. Ce programme demeure certes un divertissement, mais se présente aussi comme un témoin non négligeable de la réalité d’une société.
La production audiovisuelle, dans sa dimension magique, demeure une force d’influence sociale et culturelle très puissante et ne peut être réduite à une simple affaire de distraction. Le téléspectateur observe ce produit vivant, à l’origine d’une multitude de relations humaines et sociales, avec enthousiasme et passion au point qu’il finit par devenir un rituel. Au lieu d’un traitement socioprofessionnel de ces fléaux, en faisant appel au génie artistique de nos scénaristes qui sont nombreux, les producteurs préfèrent, semble-t-il, la facilité en mettant en avant des clichés. Pourtant, le cahier des charges décrit précisément les besoins auxquels les producteurs doivent répondre dans le respect des spécificités de ce mois sacré. Mais le gain et l’audimat l’a, semble-t-il, emporté devant l’art et le respect des valeurs.
Garde-fous
Le sociologue et enseignant à l’université d’Alger Abderzak Achouri estime que «les chaînes de télévision ont un rôle important à jouer dans le traitement de manière professionnelle des phénomènes sociaux». Et, ajoute-t-il, «nous aurons toujours besoin de ces moyens de communication traditionnels pour diffuser la culture de la paix et de la tolérance. La télévision qui fait partie de ces mécanismes de communication traditionnelle avait à l’origine pour mission de divertir, d’éduquer, de sensibiliser et de former. Mais aussi d’orienter et d’encadrer de la société». Pour le sociologue, «celle-ci avait aussi pour rôle de diffuser, de développer et de faire perpétuer les valeurs et la morale d’une société». A travers ses programmes divers et ciblés, la télévision invite, affirme-t-il, «les téléspectateurs à s’intéresser à des sujets positifs et créatifs sans faire de la promotion de la violence un moyen pour augmenter son audience». Car, indique-t-il, «les chaînes de télévision constituent toujours un moyen d’influence très puissant sur l’opinion publique à tel point qu’il n’est pas naturel de les voir adopter et faire la promotion des comportements et des idées qui ne s’élèvent pas au niveau requis d’un programme ramadhanesque».
Pour lui, «le petit écran n’a pas à être un outil de propagande indirecte pour certains groupes sociaux et à encore moins encourager des phénomènes contraires à la conscience morale de la société algérienne et la conscience humaine d’une manière générale». Il doit, renchérit-il, «constituer un mécanisme de formation et de dissuasion morale pour tous les comportements négatifs qui ne s’élèvent pas au niveau des traditions de la famille algérienne». Pourtant, estime-t-il, «il existe des scénarios très inspirés qui donnent du sens aux sujets traités tout en reflétant la réalité de la société et en faisant la promotion de la créativité intellectuelle et artistique dans le respect des fondements et principes de la société».
Selon Achouri, «certaines chaînes sont tombées dans le piège des réalisateurs et dans la quête d’augmenter leur audience elles n’ont pas pris la peine de vérifier la portée médiatique des différentes séquences du produit diffusé». Le problème ne se situe pas, selon lui, «dans le traitement de ces fléaux, mais dans la généralisation et l’ampleur des contenus violents comme s’ils constituaient la règle générale dans la société». «L’exception existe, mais elle n’a pas besoin de publicité pour faire passer des images violentes à l’heure de grande audience qui réunit un public de tous les âges», déplore-t-il.
Assia Boucetta
Yasmine Chouikh, réalisatrice : « Parler de violence sans pour autant la porter à l’écran »
La problématique du traitement à l’écran des phénomènes sociaux est un débat qui revient à chaque Ramadhan. Cette année, les téléspectateurs algériens ont jeté leur dévolu sur le sujet de la violence à la faveur de la diffusion de feuilletons qui s’en inspirent.
Les avis divergent sur la question et chacun y va de son opinion, notamment sur les réseaux sociaux.
Alors que certains y décèlent une apologie gratuite de la violence domestique, de rue ou même de genre, d’autres y voient une dénonciation ou un simple reflet de la société.
Le 7e art doit-il répondre aux valeurs morales des téléspectateurs et à leurs attentes, ou alors est-il un moyen pour le réalisateur de faire passer un message ?
Questionnée à ce sujet, la réalisatrice à succès, Yasmine Chouikh, considère que montrer et traiter la violence quand le sujet s’y prête est nécessaire. Pour elle, «nous pouvons parler de violence sans pour autant la montrer à l’écran». «Il est possible de recourir à la suggestion et d’utiliser des moyens cinématographiques subtils», s’empresse-t-elle d’ajouter.
Faisant remarquer que la sensibilité vis-à-vis de la violence est propre à chaque individu, elle cite des pays qui ont instauré un système de catégorisation des productions qui prévient le public.
«Si un film ou un épisode comporte des scènes de violence, il serait approprié de prévenir les téléspectateurs avec un message ou un signe en bas de l’écran», soutient-elle.
Pour Chouikh, la violence extrême, celle à laquelle nous ne sommes pas habitués, est à proscrire des écrans. «Même des scènes telles que égorger ou maltraiter un animal ne devraient pas être montrées, mais seulement suggérées», proclame la femme de cinéma.
La réalisatrice relève néanmoins que ce choix revient au réalisateur qui pourrait avoir comme intention de choquer le public afin de faire de la prévention sur des sujets et des fléaux, à l’image des spots publicitaires de prévention routière.
Chouikh insiste enfin sur la nécessité d’éduquer les personnes par l’image, ce qui manque pour elle aux spectateurs algériens.
«Il ne faut pas perdre de vue que les fictions ne reflètent pas forcément la réalité. C’est une histoire que l’on raconte», rappelle-t-elle en conclusion.
«Aider la nouvelle génération»
La cinéaste Fatima Wazen précise, de son côté, qu’il faut toujours avoir en tête que les téléspectateurs ne font pas le choix de voir ce qui est diffusé. Par contre, celui qui se rend dans une salle de cinéma sait à quoi s’attendre. «Les jeunes et les adolescents sont exposés à des scènes et il faut être prudent et vigilant à cet effet», met en garde l’universitaire.
Pour elle, il ne faut pas oublier aussi que le cinéaste est un informateur, un communicant qui a un message à transmettre à un public. «Le rôle du cinéaste devrait être d’aider la nouvelle génération à trouver ses repères et se construire», lance-t-elle.
Pour Wazen, lorsque l’on choisit de traiter des problématiques négatives dans une société ou un quartier, il faut toujours mettre en parallèle avec un autre afin de montrer aux téléspectateurs que ce n’est pas l’idéal ni l’exemple à suivre. Citant les feuilletons turcs, elle relève la bonne image qu’ils donnent du pays car cela participe à la promotion de leur culture et tourisme.
Enfin, elle met en garde les spectateurs tentés de juger trop hâtivement une production télévisuelle. «Il faut attendre le dénouement afin de pouvoir avoir un avis constructif. Les réalisateurs empruntent souvent ce genre de chemin pour de donner une leçon à la fin», conclut-elle.