Ramdane Lasheb, auteur et chercheur : «Nous devons lutter pour sauvegarder la diversité»

Ramdane Lasheb, diplômé de  l’Université de Pau (France), est auteur de plusieurs ouvrages dont «Éducation au patrimoine culturel à travers l’expérience des fouilles archéologiques» et une monographie de son village natal, Tala Khelil , dans la région de Béni Douala (Tizi Ouzou).Il met en avant, dans cet entretien, l’importance du patrimoine et de la diversité culturels.

 Pourquoi l’intérêt est de plus en plus manifeste pour le patrimoine ?

C’est en raison d’enjeux politiques et économiques. Pour de nombreux pays qui ont opté pour le tourisme culturel, il constitue un attrait pour les touristes et  représente une ressource économique de développement durable. Dans son enjeu identitaire, le patrimoine culturel est un moyen politique d’affirmation de l’identité nationale. On s’y intéresse aussi  pour préserver la diversité culturelle, menacée par la mondialisation, qui tend à uniformiser toutes les formes de culture et met en danger l’identité de communautés et de minorités.

Le patrimoine culturel a été longtemps vu sous la conception occidentale de l’objet et de la matérialité qui ne reconnaissait pas la diversité culturelle, mais sous la pression des pays du Sud, les théoriciens et professionnels du patrimoine ont décidé de revoir la définition du concept de patrimoine. Les débats ont conduit à la consécration du patrimoine culturel immatériel par l’Unesco. La convention de 2003 sur le patrimoine culturel immatériel reconnaît et légitime l’existence d’autres manières de penser le concept de «patrimoine». Des intellectuels comme A. Hampâte Bâ, Mouloud  Mammeri, pour ne citer que ceux-là, défenseurs de la culture populaire et de l’oralité, ont essayé auparavant d’attirer l’attention et d’éveiller les consciences sur le détournement négatif de la conscience du passé plus aliénante. A. Hampâte B a interpellé l’Unesco  lors de la onzième conférence générale en 1960 et demandé à ce que «la sauvegarde des traditions orales soit considérée comme une opération de nécessité urgente au même titre que la sauvegarde des monuments». Mammeri a aussi revendiqué une vision non occidentale de la culture, une conception dynamique de la culture.

La convention de l’Unesco de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel reconnaît la diversité culturelle et insiste notamment dans son article 2-2 sur le rôle des acteurs sociaux, c’est-à-dire les dépositaires de la culture (des communautés, des groupes et, le cas échéant, des individus). Comme elle insiste sur la dimension historique. Par la reconnaissance de ces derniers, l’Unesco œuvre pour la sauvegarde et la protection de la diversité culturelle et  le  respect des minorités culturelles.

L’article 2 de celle-ci par exemple fait référence au développement durable. Le développement durable doit être entendu comme un désir de continuité dans le respect de l’environnement et de la gestion sage des ressources naturelles. Ainsi, la   disparition par exemple de certaines plantes  risque de conduire à celle   des  savoirs- faire liés à la pratique de la médecine et de la science. Sauvegarder le patrimoine culturel dans sa version dynamique revient à protéger  la diversité culturelle, dimension fondamentale pour le dialogue interculturel, pour le rapprochement des peuples, la paix et les droits humains.

 Vous vous êtes intéressé aux poésies. Quelles sont vos motivations pour sauver cette richesse ?

Cela fait un bon bout de temps que j’ai commencé à m’intéresser à la collecte de la littérature orale sous toutes ses formes (poésies, récits de fondation de villages et autres). Mon ouvrage «Chants féminins de la guerre 1954-1962» est un travail de «sauvegarde» qui obéit à un processus de collecte, d’identification, de transcription, d’étude et de promotion. En s’appuyant sur l’analyse de contenu du corpus poétique et différents entretiens réalisés sur le terrain, je me suis attelé à montrer comment est née et diffusée cette poésie, puis j’ai exploré les thèmes.

J’ai évoqué ensuite l’apport de ce genre littéraire à la guerre et à la femme et enfin  à révéler son intérêt pour l’histoire. Le but est non de revitaliser cette poésie, c’est-à-dire de la sauvegarder dans le sens de la viabilité, mais de conserver une mémoire en voie de disparition puisqu’elle ne connaît pas de transmission. C’est une poésie née dans le contexte de la guerre et pour la guerre.

Sur quel projet travaillez-vous ?

Les idées de projet liées à la formation expérientielle, à l’éducation et à la sauvegarde du patrimoine culturel sont nombreuses.  Je  suis sur un projet portant sur l’exploration d’un phénomène lié à la confrontation au sacré. Je veux montrer en quoi l’expérience de la fouille archéologique d’une sépulture à inhumation éduque à une altérité universelle, celle de la reconnaissance réciproque de l’Autre.

Quel regard portez-vous sur la protection du patrimoine en Algérie ?

Si on s’en tient au nombre d’éléments de notre patrimoine culturel inscrits à l’Unesco et l’échelle nationale et locale, beaucoup d’efforts ont été faits. Il n’en demeure pas moins qu’en matière de protection et surtout de sauvegarde du patrimoine culturel, beaucoup reste à faire. La sauvegarde de la diversité culturelle pour laquelle notre pays s’est engagé doit se concrétiser. Or, force est de constater que nos langues parlées quotidiennement ne sont pas prises ou peu en charge.

Pourtant, elles  ne sont pas seulement  des outils de communication, mais  constituent  le tissu  de nos expressions culturelles, des vecteurs de nos valeurs et de notre identité et  traduisent notre propre  façon de voir le monde.

Entretien réalisé par Samira Belabed

 

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