Wahiba Guetouche, historienne : «L’Algérie poursuivra ses efforts pour faire avancer le dossier de la mémoire»

Dans cet entretien, l’enseignante universitaire spécialiste en histoire Wahiba Guetouche revient sur les massacres du 8 Mai 1945 commis par l’occupant français. Elle évoque, à cette occasion, la question mémorielle et estime que l’Algérie va poursuivre ses efforts afin de faire avancer ce dossier épineux dans tous ses principaux axes.

Les massacres du 8 Mai 1945, une halte importante dans l’histoire contemporaine de l’Algérie, témoignent de l’atrocité du colonisateur français ayant commis des crimes de guerre. Pouvez-vous nous rappeler le contexte politique et historique dans lequel ce crime a eu lieu ?

Effectivement, les massacres du 8 Mai 1945 constituent une des haltes historiques décisives de l’histoire de l’Algérie s’agissant des faits ayant dévoilé le vrai visage du colonisateur français et les intentions réelles des autorités françaises, qu’on voulait dissimuler après les promesses faites aux Algériens lors de la Seconde Guerre mondiale. Ces massacres, on le sait tous, ont été perpétrés comme réaction de la part des autorités françaises contre les manifestations menées par les Algériens en guise de célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale et la victoire des Alliés et dans l’espoir surtout que la France tienne sa promesse, à savoir accorder la liberté au peuple algérien après l’avoir aidée contre ses ennemis.

Ces manifestations ont été organisées dans la plupart des grandes villes, notamment à l’est du pays (Sétif, Guelma et Kherrata), pour faire tache d’huile en touchant d’autres villes et villages du pays. Les manifestants ont été violemment réprimés et on peut même qualifier ces massacres de génocide commis contre le peuple algérien. Sachant que les autorités françaises avaient accordé une autorisation aux manifestations pour marcher avant de donner l’ordre de tirer à balle réelle sur les manifestants.

La France coloniale au travers de cette brutale réaction visait un retour en force sur la scène internationale après la débâcle subie par son armée au début de la seconde guerre mondiale. Mais elle faisait aussi face à un Mouvement national en plein essor et dont les revendications s’orientaient, de plus en plus, vers l’indépendance…

Justement, le contexte politique des massacres du 8 Mai a été marqué par une prise de conscience chez les Algériens qui s’est traduite par la création des Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) en mars 1944, en plus de l’activité intense qu’a connue le Mouvement national, dont les revendications allaient crescendo. Je rappelle que le Mouvement national avait, par la suite, réalisé les vraies intentions du colonisateur étant convaincue que la voie pacifique dans la lutte contre l’occupant français ne donnera pas des résultats, et que la politique de l’extermination, du sang et du racisme menée contre les Algériens se poursuivra. Les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en étaient la preuve irréfutable, constituant ainsi un tournant décisif dans la lutte du peuple algérien contre le colonisateur français.

Dans le cadre du dossier de la mémoire, l’Algérie exige de la partie française une reconnaissance de ses crimes de guerre commis en Algérie, dont les massacres du 8 Mai 1945. Peut-on dire que la partie française est prête à une telle reconnaissance ?

Si cette intention existait réellement chez la partie française, on aurait pu reconnaître ces crimes sans aucun complexe et l’on aurait clos définitivement ce dossier épineux qui persiste. Depuis l’indépendance à ce jour, il y a eu plusieurs occasions pour exprimer ces reconnaissances quant aux crimes de guerre commis en Algérie. Je rappelle que la question de la restitution des crânes et restes mortuaires des chouhada est un acquis pour l’Algérie au vu de l’intransigeance initiale de la partie française, et non au vu de la gravité des crimes commis. Et les archives séquestrées en France ont acté et entériné l’atrocité de ces crimes. Cette attitude participe de la mentalité coloniale des pays impériaux.

Justement la question des archives est un des principaux axes du dossier de la mémoire nationale. Selon vous, comment évoluent les négociations en la matière ?

Le dossier des archives usurpées constitue le noyau de l’ensemble du dossier de la mémoire, s’agissant d’un large pan de l’histoire et de la mémoire de l’Algérie. Cela d’autant plus que ces documents témoignent des crimes et renferment des preuves tangibles de l’atrocité française. L’Etat algérien va certainement poursuivre ses efforts afin de récupérer ces archives, dont l’importance dépasse le fait de débarrasser les relations diplomatiques algéro-françaises des sensibilités, mais ces archives sont importantes à bien des égards et sont liées à l’existence de l’Algérie et à la mémoire nationale.

En somme, comment évaluez-vous l’avancement du dossier mémoriel et le travail de la Commission algéro-française depuis son installation en 2022 ?

A ce propos, je n’ai pas grand-chose à dire, sinon des avancées ont été réalisées les derniers mois suite aux déplacements effectués en France par les membres de la Commission chargée du dossier de la mémoire, en plus des réunions tenues en Algérie avec des historiens et spécialistes en vue de débattre de cette question.

Entretien réalisé par A. Mehdid

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