Evénements du 8 mai 1945 : Le prélude du 1er Novembre 1954

Le 8 mai 1945 est le jour où l’Allemagne nazie avait capitulé annonçant ainsi la victoire des Alliés et la fin de la Seconde guerre mondiale. Mais pour les Algériens, ce jour-là reste à jamais un traumatisme collectif. Pour chaque Algérien, les villes de Guelma, Sétif, Kherrata évoque assurément le massacre de milliers d’Algériens par l’armée française et les milices des colons.

Cette tuerie de masse, qui a débuté en cette date fatidique, s’est poursuivie des semaines après et a touché d’autres régions comme Annaba et Béjaia. Durant la journée du lundi 7 mai 1945, les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML), mouvement fondé par Ferhat Abbas, le 14 mars 1944 pour exiger l’indépendance de l’Algérie, mettent la dernière main aux préparatifs d’un défilé prévu le lendemain, officiellement pour fêter la victoire sur l’Allemagne nazie, mais destiné, en réalité, à réclamer la libération du peuple algérien du joug colonial.

L’administration coloniale autorise la marche, mais à condition que ne soient déployés que des drapeaux français.  Mardi 8 mai 1945, vers 7 heures du matin: des milliers de manifestants sont déjà rassemblés près de la mosquée de la Gare (aujourd’hui mosquée Abou Dhar Al Ghafari) et débordent jusqu’à la route de Bougie, à plusieurs centaines de mètres de là. Ils affluent de tous les quartiers de la ville et de tous les villages environnants, car le mardi est jour du marché hebdomadaire à Sétif. Vers 8 h 30, le cortège s’ébranle avec, à sa tête, 200 à 250 jeunes louveteaux des Scouts musulmans algériens, en tenue, et impeccablement alignés en rangées de huit, le cou entouré d’un foulard vert, blanc et rouge.

Après avoir désigné leur camarade Bouzid Saâl pour porter l’étendard algérien, les scouts entament une marche comprenant 15.000 à 20.000 manifestants. La procession grossit dès la bifurcation sur l’avenue Georges-Clémenceau (aujourd’hui avenue du 8-Mai 1945), des centaines de personnes arrivant de la place de la Porte de Biskra, au sud de la ville, et d’autres quartiers de Sétif. Un témoin, alors jeune scout, Mohamed-El Hadi Cherif (décédé il y a deux ou trois ans), avait indiqué à l’APS que les scouts entonnèrent aussitôt « Min Djibalina » (de nos montagnes) cependant que des dizaines de banderoles apparaissaient: « Vive l’Algérie libre et indépendante », « A bas la France », « Libérez Messali ».

Arrivés face au café de France, et alors qu’ils s’apprêtaient à s’engager à gauche, vers le Monuments-aux-Morts pour y déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des victimes de la 2ème guerre mondiale (tel que mentionné sur la demande d’autorisation du défilé), les officiers de police Olivieri et Valère, qui surveillaient, en cet endroit, la marche depuis une voiture à l’arrêt, au volant de laquelle se tenait leur chef, le commissaire Tort et un inspecteur répondant au nom de Haas, ne supportant pas la vue du drapeau algérien. Ils sortirent de la voiture et se dirigèrent vers Bouzid Saâl, lui intimant l’ordre de baisser le drapeau, souligne Abdelhamid Salakdji, président de la Fondation du 8-Mai 1945. Et un youyou strident fusa, déchirant le silence. Les deux officiers après avoir vainement tenté d’arracher le drapeau des mains de Saâl qui s’y agrippa de toutes ses forces au point de tomber par terre, dégainèrent et lui tirèrent dessus, paniqués, sans doute, par le mouvement de foule que provoqua la chute au sol du jeune scout (ce dernier rendra l’âme, environ une heure après son évacuation à l’hôpital).

Les deux coups de feu, dont l’un atteignit Saâl à la poitrine, raconte Salakdji, furent suivis d’un silence pesant, malgré la présence de milliers de personnes. Un silence lourd subitement interrompu par le long youyou d’une femme qui observait la scène depuis son balcon.  Plus que les coups de feu, ce youyou strident fut le véritable déclencheur des émeutes qui s’ensuivirent, soutient Salakdji. Ce fut alors la débandade, les gens couraient dans tous les sens, les français se bousculaient pour se mettre à l’abri, tandis que résonnaient, par intermittence, des coups de révolver et des rafales de mitraillettes.

La confusion était indescriptible, affirme Salakdji. Plusieurs colons furent tués, qui par balle qui poignardé, dont le maire de Sétif, Edouard Deluca, et un ancien président du tribunal dénommé Vaillant. « ‘Par qui ? Personne ne saura jamais, possiblement par des manifestants et possiblement, aussi, par d’autres français d’Algérie qui les accusaient de Vichysme », avait confié un témoin, alors jeune scout, Mohamed-El Hadi Cherif. Cet épisode sanglant avait donné le signal d’une répression barbare, inhumaine, disproportionnée. Une véritable aux autochtones s’organisa dès l’après-midi, à Sétif et dans d’autres villes. Ces « représailles » françaises se poursuivirent le lendemain, le surlendemain et les semaines qui suivirent. Dans les régions de Sétif, mais aussi de Kherrata et de Guelma. Des douars entiers ont été décimés, des villages incendiés, pilonnés et des familles brûlées vives.

Au final, ce ne sera pas mois de 45.000 victimes qui tomberont, tués par les mitraillettes des soldats français, par les obus de l’artillerie, sous les bombes des avions, mais également asphyxiés par les « enfumades » de grottes et de cachettes où s’étaient refugiés femmes, enfants et vieillards. 10 ans plus tard, la Révolution du 1er Novembre 1954  a éclaté et est sanctionnée  par les accords d’Evian et l’indépendance de notre pays en 1962. Pour certains historiens, la première partie  de la guerre de libération nationale s’est jouée durant cette période de répression effroyable.

Karima Dehiles/APS

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