Conférence de Kamel Chekkat à l’Université Alger 2 : Les langues sacrées en débat

Existe-t-il des langues sacrées ou juste une mystification née de convictions, voire d’idéologies façonnées à travers l’histoire des religions? Qu’en est-il de la langue arabe? En somme, c’est la problématique qui a été soulevée en prologue de la conférence-débat intitulée « Autour de la langue sacrée», animée mardi à l’Université Alger2 (Bouzeréah) par Kamel Chekkat, théologien et chercheur en religions comparées.

Invité par le laboratoire de recherche Liraddi, organisateur de l’événement, Chekkat ad’emblée apporté une réponse claire et concise à la problématique :«Il n’y a pas de langue sacrée proprement dit.» Bien que son affirmation soit des plus catégoriques, le conférencier en a fait un interstice introductif accrocheur pour développer et lever le voile sur la notion de la sacralité de la langue en remontant à la genèse, tout en élargissant la perspective de son argumentaire qui fait appel à l’histoire, à l’influence des civilisations, à la géographie, ainsi qu’à l’explication de certaines acceptions et fausses vérités devenues immuables par l’effet d’un «scienticide» systématique et consécutivement à l’enjeu scientifique actuel, dont la propension hégémonique a favorisé l’émergence d’un révisionnisme qui remet en question les réalisations scientifiques ou les découvertes datant de la civilisation musulmane.

Pour l’invité de Lirradi, la notion de la langue sacrée est une création judéo-chrétienne qui a fait à l’origine du grec ancien, puis du latin (chrétiens) la base des livres bibliques et partant en ce qui concerne les chrétiens la langue sacrée de l’Etat théocratique. Un état de fait qui a, par extension, sacralisé la diplomatie papale, dès lors qu’elle est de l’apanage des ecclésiastiques.

«Au contraire de la théocratie des chrétiens, la civilisation musulmane est bâtie sur un socle théocentrique où la religion en représente le centre, mais tout ce qui gravite autour est l’œuvre de l’humain, donc par définition non sacré», compare-t-il. La nuance est de taille. «Les civilisations émergent notamment des pensées et d’une religion. La civilisation musulmane est un exemple abouti de cette définition, tant sa contribution pour l’humanité a été inestimable», souligne Kamel Chekkat. Selon lui, il est illusoire de dire que l’Occident actuel est une civilisation. «Le terme juste est le progrès occidental compte tenu de son évolution», précise-t-il.

Un progrès scientifique qui a, par la force des rapports, imposé de nouveaux paradigmes qui font souvent fi des réalisations et de découvertes scientifiques, notamment musulmanes. Il cite, à titre d’exemple, la découverte du nouveau monde ainsi que les recherches abouties menées par des scientifiques ayant marqué l’âge d’or de la civilisation musulmane que de nombreux savants européens en revendiquent la paternité et que la tradition scientifique leur attribue. Ce scienticide est d’autant flagrant que la carte géographique mondiale est conçue de telle sorte que le monde occidental et le Nord, en général, soient supérieurs au reste du monde.

Pour revenir à la sacralité de la langue, Chekkat a souligné que la langue arabe a été un moteur dominant dans la construction et même à l’apogée de la civilisation musulmane. Pour autant, elle n’est pas sacrée. Un concept propre, rappelle-t-il, à la culture judéo-chrétienne. «Le Saint Coran est sacré, son texte est sacré et, en revanche, la langue n’en est pas», argumente-t-il. Toutefois, il a tenu à clarifier que l’arabe est une langue très aboutie et qu’elle est un vecteur des sciences. «L’arabe comporte 12,6 millions de mots et est dotée d’une extraordinaire flexibilité d’absorber les mots et les sciences»,  affirme-t-il.

De l’avis même d’éminents orientalistes, l’arabe est une langue particulière. A ce propos, Franz Rosenthal évoque dans ses études la supériorité de la langue arabe quicomporte pas moins de 2.400 racines. Un constat que fait également sien Alfred Guillaume qui estime que la puissance de la langue arabe est puisée de sa flexibilité et de sa facilité d’absorber les sciences. En somme, Kamel Chekkat a invité l’assistance nombreuse à réveiller en elle, et en nous tous par extension, la sacralité de la mission de faire de l’arabe une langue scientifique et de la recherche.

Amirouche Lebbal

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