Abdelmadjid Attar, Consultant en Stratégie et Organisation : «Le gaz est devenu la ressource la plus convoitée»

 Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach, ancien Ministre des Ressources en Eau, et de l’Energie  et actuellement consultant stratégie et organisation, met en avant, dans cet entretien,  les enjeux du marché gazier. L’accent est mis sur le 7e sommet du forum des pays exportateurs du gaz GECF, prévu fin février à Alger, ainsi que le rôle que pourrait avoir l’Algérie.

 Quels sont les principaux enjeux actuels pour les pays exportateurs de gaz et comment affectent-ils l’industrie de l’énergie dans le monde?

Les enjeux sont importants et liés à la mutation rapide en ce moment de la scène énergétique mondiale autour : D’une accélération des politiques de transition énergétique qui impactent le marché de l’énergie de façon générale, surtout celui du pétrole et par conséquent celui du gaz dont une bonne partie est indexée sur le prix du baril. Du besoin et la nécessité de nouveaux investissements pour maintenir les capacités de production et d’échange, décarboner et réduire les émissions de méthane. Des conflits régionaux qui affectent les échanges et entraînent beaucoup d’incertitudes sur leur évolution à moyen terme, alors que le gaz est devenu la ressource la plus convoitée pour garantir la sécurité énergétique, particulièrement en Europe et de façon moindre en Asie pacifique où le charbon assure pour le moment une bonne partie de la production d’électricité.

Les réserves mondiales en gaz naturel sont importantes (200.000 à 250.000 Mds M3, sans compter celles en gaz de schiste), mais le problème à moyen terme va être lié aux corridors des échanges qui seront eux même liés aux alliances géopolitiques en cours de restructuration.Le mode d’organisation et de fonctionnement actuel du GECF, qui contrôle 70% des réserves gazières mondiales, 42% de la production mondiale dont 45 à 50% sont exportés, et 60% des exportations de GNL à travers le monde, ne lui permet pas encore de peser sur le marché comme le fait l’OPEP+.

Tout le problème va consister à définir la meilleure voie pour défendre les intérêts des membres du GECF, mais sans aggraver la crise énergétique actuelle dont les impacts les affecteront aussi.Le gaz demeure la ressource énergétique qui va garantir la sécurité et la transition énergétique à moyen et long terme. Sa demande continuera à croitre entre 1 et 2% par an. Il compte pour 22% dans le mix-énergétique mondial, et atteindra probablement plus de 25% à l’horizon 2050. C’est cela l’avantage du gaz, et par conséquent la force d’un GECF uni.

Comment les pays exportateurs de gaz peuvent-ils collaborer pour promouvoir la stabilité du marché mondial du gaz tout en respectant les objectifs de durabilité environnementale?

Le secret est dans la cohésion en matière de collaboration justement à l’image de ce que l’OPEP et l’OPEP+ font depuis plusieurs années. L’intérêt est commun, parce que en face la demande est garantie même si elle est variable en ce moment du fait de mise en œuvre de politiques de réduction des consommations d’énergie, et la recherche d’une diversification des sources approvisionnements qui risque d’entraîner progressivement une maîtrise du marché par le consommateur d’une part, et d’autre part le poids d’alliances politiques centrées sur le facteur énergie.

Il faut aussi activer l’introduction de process et de technologies susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour consolider la place du gaz dans le mix énergétique. L’organisme créé par le GECF :« Institut de Recherche sur le Gaz (GRI) »,dont il faut renforcer les capacités techniques et humaines est une des solutions dans ce domaine. Le Secrétaire Général du GECF a d’ailleurs insisté sur: « la nécessité de soutenir le financement des projets de gaz naturel et la mise à l’échelle de technologies plus propres. Cela est crucial pour des transitions énergétiques justes, inclusives et ordonnées qui répondent aux besoins de développement durable, de sécurité énergétique et d’accessibilité énergétique».

Le Ministre algérien de l’Energie a aussi souligné que le Sommet du GECF devrait « refléter les objectifs et la Vision du GECF qui consiste à faire du gaz naturel la ressource centrale d’un développement inclusif et durable ».Il faut enfin espérer qu’il n’y ait pas « parasitage géopolitique » au cours de ce sommet qui est si important pour tous ses membres.

Quel rôle joue l’Algérie en tant que pays exportateur de gaz, et comment ses efforts contribuent-ils à répondre à la demande mondiale croissante en énergie?

L’Algérie n’est pas un grand producteur d’hydrocarbures dans le monde de façon globale. Elle produit actuellement 100 à 105 Mds M3 de gaz commercialisable, soit 6,4% de la production du GECF, dont elle exporte environ la moitié. Mais c’est un acteur majeur en Afrique et dans le bassin méditerranéen, en face d’un marché européen qui fait l’objet d’une convoitise et d’une forte compétition avec des producteurs importants, Moyen Orient, USA, et même d’Afrique, d’où vont provenir de futurs exportations des récentes découvertes sur les côtes Est et Ouest.

Pour le moment, l’Algérie remplit parfaitement ses obligations contractuelles sur le marché européen, mais elle doit consentir d’autres efforts pour maintenir sa place en tant que fournisseur fiable. Son potentiel actuel en réserves conventionnelles lui permet de répondre à toutes ces obligations et de faire face en même temps à sa consommation énergétique intérieure sur une décennie, mais il faut aussi accélérer la transition énergétique avec le recours aux ENR, y compris l’hydrogène au-delà de 2030, une transition économique pour en finir avec la dépendance de la rente pétrolière. L’Algérie a toujours été un membre modérateur au sein de l’OPEP, elle peut l’être aussi au sein du GECF.

Pour maintenir sa position de leader dans la région et surtout pour faire face à la concurrence, l’Algérie devra-elle, ainsi,  engager de nouveaux investissements ?

Il faut avoir une vision à long et très long terme, car les stratégies développées en ce moment sont toutes centrées sur un facteur clé : la souveraineté énergétique, qu’elle soit assurée par des ressources fossiles, renouvelables, ou toutes autres qu’on ne connaît ou qu’on ne maîtrise pas encore aujourd’hui. Il faut les posséder, les contrôler, ou avoir les moyens de les acquérir. L’Algérie a trois types de ressources : pétrole et gaz en ce moment pour assurer sa souveraineté énergétique et soutenir son économie, ENR pour assurer sa transition à terme, mais hélas un retard en matière d’usage. A long terme ces avantages ne doivent pas se transformer en handicaps.

L’AIE prévoit un pic de la demande pétrolière avant 2030 ! Le gaz est pour le moment épargné et le monde en aura besoin bien après 2050. Il faut donc accroitre ses investissements en matière de renouvellement des réserves et maintien des capacités d’exportation, surtout en GNL dont le marché est en plein accroissement. Les capacités de liquéfaction (nominales) algériennes sont d’environ 50 milliards M3, mais ne fonctionnent qu’à 30%. Il faut donc développer les réserves en gaz de schiste (24.000 milliards M3 techniquement récupérables), à travers des partenariats adaptés à ce type d’exploitation objet de polémiques injustifiées. Il a fait des USA les premiers producteurs et exportateurs de gaz naturel.

L’Algérie peut en produire au moins 20 Milliards M3 à l’horizon 2030-2035 et plus au-delà de 2040 (50 Mds M3 ?). Enfin accélérer et doubler ou tripler les investissements dans les ENR dont la production d’énergie correspondra à autant de gaz économisé pour les générations futures et l’exportation. Une stratégie énergétique globale et à long terme c’est ce dont a besoin l’Algérie.

Quelles sont les perspectives pour l’industrie du gaz, tant du point de vue de la demande que de l’offre?

Tous les indicateurs montrent que la demande mondiale en gaz va augmenter en moyenne de 1,5% par an à l’horizon 2050, au détriment du pétrole et du charbon, mais pas des ENR dont la croissance est très importante à raison de 7,5%. Une chose est sûre : le mix énergétique mondial est définitivement orienté vers des sources d’énergie qui doivent répondre à trois critères : Propres et Renouvelables, Fiables et Accessibles (PRIX !), et Souveraineté Énergétique.

Aucune ressource ne répond actuellement à tous ces critères en même temps, d’où l’adoption par tous les pays du « parcours en transition énergétique ». Aujourd’hui l’énergie renouvelable est la moins chère, mais pas en puissances suffisantes, le nucléaire non plus. Le gaz naturel par contre est largement disponible en réserves et capacités de production. C’est ce qui en fait le meilleur « compagnon des ENR ».

Selon l’AIE, la demande mondiale en gaz naturel devrait connaitre une croissance régulière malgré certains reculs conjoncturels dus aux aléas climatiques et troubles géopolitiques, créant parfois des surplus sur certains marchés et unevolatilité du prix du gaz qui a atteint un pic historique de 100 $/MMBtu en Aout 2022.En 2023, les prix sont demeurés assez élevés du fait de la difficulté en Europe pour remplacer les approvisionnements russes par des livraisons suffisantes en GNL, car les capacités de production et de transport étaient presque toutes engagées dans des contrats en cours. Ce qui a permis aux USA de doubler ses exportations à un prix (Fob) très confortable.En 2023 le prix spot sur le marché TTF était de 38 $/MMBtu, et le JKM (Japon) de 34 $, tandis que celui du marché US Henry Hub a atteint un pic historique de 6,5 $.

Au début de ce mois de Février ces prix ont chuté sur tous les marchés mais demeurent plus élevés que ceux enregistrés avant 2021. Le prix indexé sur le pétrole est de 12 à 13$/MMBtu, le HH à 3,2$, le TTF à 9,5$, et le JKM à 10,3$.Seul le marché Nord-Américain demeure relativement bas, étant régulé uniquement (au comptant) par l’offre et la demande propres aux USA.

En ce moment la plus grosse difficulté demeure dans la prévision du prix du gaz au-delà du moyen terme, même si elle va continuer à s’accroître surtout dans le domaine industriel où la disponibilité du gaz est plus importante. Mais le marché demeurera très sensible à l’offre qui pourrait devenir supérieure, surtout par l’intermédiaire d’une croissance des échanges en GNL dont les infrastructures de liquéfaction et de regazéification sont en croissance continue dans le monde.

Seuls les USA semblent en ce moment être tentés par un gel ou une suspension temporaire de tout nouvel accord de construction d’unités de liquéfaction, et par conséquent d’exportation de nouveaux volumes de GNL au-delà de 2027 ou 2030. Mais à priori cela dépendra des résultats des élections présidentielles US en 2024.Tous ces paramètres sont en faveur de concertations approfondies entre les membres du GECF pour protéger leurs intérêts, et éviter une compétition qui impactera de façon très négative le marché gazier.

 Entretien réalisé par Wassila Ould Hamouda

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